lundi 20 janvier 2014

La Carélie : Terre du Kalevala

Difficile de parler de la Carélie sans mentionner le Kalevala, donc c'est parti :

Le Kalevala.

Pour ceux qui roupillent au fond, le Kalevala est l'épopée nationale des Finnois, l'équivalent des Niebelungen en Allemagne ou de la Chanson de Roland en France - à ceci près, bien sûr, qu'à part peut-être une certaine frange des Catholiques de France, plus personne n'en a rien à cirer de la Chanson de Roland si ce n'est qu'il y a une chanson populaire rigolote et que ça aurait quelque chose à voir avec Roncevaux. Le Kalevala, en revanche, c'est une pierre fondatrice de la culture d'une Finlande indépendante, la pierre angulaire du fameux nationalisme romantique évoqué dans mon billet précédent. Tous les enfants lisent au moins une version abrégée à l'école, car le livre est immanquablement au programme. Il est partout, ses références s'accumulent et s'empilent à chaque regard pour qui sait les trouver, des allumettes ou assurances Sampo aux assurances Pohjola (où je suis enfin assuré en passant par le téléphone, vous vous souvenez) en passant par la compagnie Ilmarinen, les produits ménagers Aino (et la glace aussi, même si ça c'est un coup fumeux de Nestlé, j'en reparlerai également) statues et sculptures, les symphonies de Sibelius (de Kullervo à Lemminkäinen en passant par le très sombre Cygne de Tuonela...). L'ouvrage est un monument dont l'importance ne se dément toujours pas de nos jours, avec de nombreuses versions "pour enfants" et des visions plus modernes (notamment Jade Warrior qui le mélange avec les films de kung-fu... C'est spécial mais pas mal en fait, surtout le concept du Hammer-Kata, où on se bat à coups de marteaux de forgeron. Oui.) et récemment Kalevala Uusi aika (Kalevala : Nouvel Âge), une version "débarrassée de la propagande suédoise et plus proche du VRAI Kalevala de nos ancêtres" qui mélange le passé et le présent, tournée par un membre du parti d'extrême-droite Perussuomalaiset et qui aurait un certain message à faire passer, ahem, mais s'est apparemment bien ramassée. Le DVD vient de sortir, j'en ferai peut-être un commentaire plus tard. Bref, c'est un symbole encore très vivant de la culture finnoise (dont il est le représentant dans le calendrier des jours spéciaux) qui imprègne toujours la société du XXIème siècle, bien qu'évidemment avec les générations qui passent, hein...

Le "héros" du Kalevala, le sage et puissant Väinämöinen.
Pour plus de détails sur le Kalevala et son histoire, parce que ce n'est pas vraiment le but de cet article, vous pouvez vous reporter vers notre ami Wiki , ou mieux, lire le livre. Je le recommande avec insistance. Néanmoins, vous comprendrez pourquoi j'en parle ici si je vous livre le nom original de la première version du Kalevala : Kalevala ou Anciens Chants de Carélie à propos de l'histoire passée du peuple finnois. Elias Lönnrot, Finlandais de la minorité suédophone, a passé une partie de sa vie à collecter les anciens chants de la culture orale traditionnelle finno-ougrienne, et spécialement en Carélie où cette pratique était encore fort vivace à son époque, pour en faire l’Épopée ultime de la Finlande et asseoir ce peuple au rang des grandes nations indépendantes. Le fait qu'une grande partie des chants retenus pour devenir le canon du Kalevala soit clairement carélienne a donné une couleur et une identité à ce récit qui reste encore aujourd'hui indissociable de sa source, même si géographiquement, le Kalevala (Littéralement Terre de Kaleva, le suffixe -la indiquant une location) n'est pas exactement la Carélie, cela reste le Sud de la Finlande, la côte, par opposition à la Terre du Nord (Pohjola) qui sont, en gros, les méchants dirigés par une sorcière. Pour rappel, ces chants issus de la tradition orale charrient des textes, des idées et des concepts qui nous viennent directement de l'âge du fer nordique et donc d'une époque où les Sames sont bien plus présents, et bien moins au Nord. Il est d'ailleurs intéressant de noter, en contraste avec la volonté du film récent mentionné plus haut, que le Kalevala nous rappelle finalement que les Finnois n'étaient pas les premiers sur place et que les gens de Pohjola étaient alors bien plus que des éleveurs de rennes au fin fond de la Laponie. Mais passons. Vous l'avez compris, la Carélie c’est le berceau du Kalevala.

Voilà donc pourquoi il fut fort approprié d'y organiser une exposition de sculpture sur sable ayant pour thème ce chef-d’œuvre littéraire - et je ne veux entendre aucun commentaire sur cette transition de fou. C'était pendant l'été 2013 à Lappeeranta :


Reproduction d'un célèbre tableau illustrant la mère éplorée de Lemminkäinen (qui est donc mort après avoir  cherché un peu trop efficacement l'aventure et la guerre). Elle ira le chercher dans le royaume des morts, Manala ou Tuonela, rassemblera ses morceaux et le ressuscitera. Ce qu'une mère ne ferait pas pour son enfant ! Le Cygne de Tuonela est là, évidemment.
 La dame vous rappelle Marie et le monsieur vous fait penser à Jésus ? C'est normal, il s'apprête à ressusciter (dans une histoire qui n'est pas sans rappeler celle d'Osiris). Ah oui, un détail sur le Kalevala... ça a beau être un assemblage de textes pré-chrétiens, on sent quand même chez Lönnrot un certain, hum, enfin... vous comprenez. Tout comme à la lecture d'un Edda ou d'une saga, il faut garder en tête qui a rassemblé l'ouvrage, et quand, et pourquoi.
A titre de comparaison, l’œuvre originale de Gallen Kallela.
Seppo Ilmarinen, l'ami de Väinö, le forgeron du Ciel à qui il incomba de forger également le Sampo, un des éléments centraux du Kalevala. Si l'ambiguité persiste chez les Finns, chez les autres peuples qui entourent la Baltique, la figure d'Ilmarinen le Forgeciel est clairement divine. En Finlande, il est d'ailleurs souvent associé jusqu'à se confondre avec Ukko-Jumala, le chef-dieu de leur panthéon, Dieu du Tonnerre qui manie un marteau. Dans le fond, les lecteurs du Kalevala reconnaîtront Iku-Turso, à la fois monstre marin et Dieu des maladies et de la guerre (selon les sources). Les autres, plus avisés, reconnaîtront sans hésiter notre cher ami Cthulhu. D'ailleurs, il est plus ou moins invoqué par la Sorcière de Pohjola et Väinämöinen le renvoie dans les profondeurs à coups d'incantations et de chants, je veux pas dire, hein, mais...
Väinö il est cool. Quand il a besoin d'un bout incantation qu'il va quérir auprès d'un géant qui décide de l'avaler parce qu'il en à rien cirer du vieux mage, ce-dernier ne se laisse pas gagner par la panique. Il se met à lui pourrir sa digestion et lui causer des maux de ventre atroces, jusqu'à ce que le géant le supplie de sortir. "Bah moi je suis bien là, c'est confortable, je me vois bien m'installer... à moins, bien sûr, que tu ne te décide à me donner ce que je veux ?" L'image vous révèle le choix du géant : Epic Trololol Väinämöinen !

Celle-ci est assez intéressante à plusieurs niveau. Elle évoque une histoire où la femme d'Ilmarinen, une fieffée connasse, fait un sale coup à Kullervo, un type dont l'histoire se résume à une série d'horribles malheurs et de coups du sort terribles, en plus de n'être pas une flèche. Il ne lui reste de son père qu'un couteau qu'il chérit plus que tout, donc forcément, Madame connasse met un gros caillou dans le pain qu'elle lui a préparé alors que Kullervo travaille pour elle et son mari à sortir leurs bêtes. Lorsque Kullevo veut prendr eune pause bien méritée, il casse son couteau sur la pierre, la dernière relique de son père. Très, très énervé, il décide de se venger, massacre les vaches dont il s'occupe, leur arrache la peau et en recouvre des ours et des loups, qu'il ramène à l'étable comme si de rien n'était - visiblement copain comme cochon avec ces bêtes féroces qui trouvent la blague très à leur goût, visiblement. Madame Connasse ne le sait donc pas, mais lorsqu'elle va traire ses vaches, elle est bonne pour une surprise des plus inattendues.
Dans la représentation de cette légende, plusieurs choses m'intriguent : Le cul nu de la femme d'Ilmarinen, déjà, qui est assez gratuit... sauf si on considère le fait qu'il y ait bien un arrière train et des mamelles de vache, impliquant une traite, alors qu'on voit qu'il s'agit bien d'un ours... Bref, y a un côté blague salace assez planant. Est-ce pour cette raison que Lönnrot nous gratifie d'un face-palm ? Ou bien est-ce parce que la pauvrette est décidément bien conne de ne pas reconnaître un ours avant de se faire dévorer ? Bref, plein d'interprétations possibles et de symboliques cachées - ou pas.
Qu'on se rassure pour le pauvre mari éploré désormais veuf, sait comment se remettre de la mort tragique et gore de sa chère et tendre : Il est forgeron, il va donc se forger une nouvelle femme. Toute de métaux précieux, une femme en or (littéralement) donc. Les moins romantiques y verront une poupée gonflable de luxe, mais non, car elle est trop froide au goût de notre forgeron pour pouvoir vaquer à ses petites affaires, il va donc essayer de la refourguer à son "vieil" ami Väinö qui, dans son âge avancé, doit bien avoir besoin de compagnie, non ? Cela se finit en gros par Väinämöinen qui regarde son pote et lui dit : "Ne me prend pas pour un con, tu l'as faites pour toi, hein ?" "....yep." "Et tu veux me la refourguer, l'air de rien ?" ".....yep." "Tu sais donc où tu peux te la mettre ?". Yep. J'aime beaucoup l'interprétation très moderne de la "femme artificielle", notemment dans cette pause languoureuse, nous renvoyant aux thématiques très actuelles des robot-prostituées et de la sexualité avec des répliques d'humaines (comme ces poupées sexuelles représentant des enfants, au Japon, pour canaliser la pédophilie, ou certains thèmes de la série suédoise Real Humans). Dans le Kalevala (tout comme la Kanteletar) ce genre de métaphore est assez clair : La richesse ne fait pas le bonheur. Il y a notamment une histoire où une femme se fait courtiser par plusieurs hommes sortant de la mer, tous faits de métaux de plus en plus précieux, qu'elle décline tous. Jusqu'à ce qu'un homme fait de pain se présente à elle, qu'elle accepte d'épouser. Cette thématique est similaire dans le refus de Väinö d'accepter le "cadeau" d'Ilmarinen qui apprend cette leçon (probablement le personnage représenté façon Steampunk derrière la femme forgée).

Pas d'exposition ouverte à tout public en Finlande sans un moment bien traumatisant à vie pour les enfants. Ici, une représentation des souffrances du peuple de Kalevala lorsque, battue, Louhi la sorcière de Pohjola, se venge en leur balançant tout un tas de maladies bien dégueulasses. Notez le détail de l'enfant qui met son doigt dans l'orbite vide de sa mère... Rassurez-vous Väinö utilisera tout son savoir faire médicinal et leur servira des onguents des plus revigorants pour repartir comme en 40. Mais quand même, ce doigt dans l'orbite... Bienvenue en Finlande, les amis !!
Bon, je ne peux pas tout, tout montrer, car l'ensemble fourmillait de détails... ou parfois les sculptures étaient trop grandes pour pouvoir bien les appréhender en une photo, comme l'exploit de la pèche du brochet de Tuonela :

Un sacré bestiau, échelle d'après un récit Marseillais du XVIIème siècle.
On appréciera aussi les touches d'humour bienvenues de la part des artistes, comme le tatouage du Badass Ilmarinen :


Ou simplement le sens du détail et le travail admirable des sculpteurs :

L'échappée du Sampo, où on essaye de garder cette sorte de corne d'abondance forgée par Ilmarinen des mains de la sorcière au cours d'une "bataille navale" épique qui décidera du sort du Sampo...

Donc si vous voulez en savoir plus sur ces histoires délicieusement amusantes, captivantes, tragiques, dépaysantes, épiques, lisez le Kalevala. 

Si vous voulez savoir d'où Tolkien sort ses aigles SOS Gandalf en détresse, lisez le Kalevala. Si vous voulez savoir d'où Tolkien sort tout un paquet de truc, en fait, lisez le Kalevala. D'ailleurs, puisqu'on parle de lui, JRR Tolkien a dit un jour qu'en tant que linguistique, la grammaire finnoise était comme une cave de grands crus. D'où la très forte inspiration du finnois pour sa création de l'elfique. LISEZ LE KALEVALA !

Et j’arrête là avec le prosélytisme.


La prochaine fois, retour à la Carélie d'aujourd'hui :)












PS : Lisez le Kalevala.

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