mercredi 24 septembre 2014

Retour aux sources : Schwarzwald, une introduction

J'ai beau être né en Auvergne, je n'ai pas connu cette région du centre de la France - les joies des mutations militaires. Ainsi, j'ai passé ma prime jeunesse dans la région d'origine de ma mère, la chance ayant voulu que mon père y soit muté à nouveau peu après ma naissance. Je dis chance non pas parce que la perspective de vivre en Auvergne soit assommante, mais parce que ça m'a permis de tisser des liens avec la Forêt Noire, qui n'aurait été autrement qu'un lieu de visite occasionnel pour aller voir mes grands-parents, et ça, c'eut été bien dommage. Car la Forêt Noire - Schwarzwald dans la langue de Goethe - est une région magnifique d'où je suis très heureux de tirer mes racines. Déjà parce que la bouffe est délicieuse, notamment sa charcuterie variées et souvent fumée au bois de conifère (contrairement à la plupart des viandes fumées, ce qui lui donne ce goût inimitable. Je plaisante pas, le Jambon de Forêt Noire est une appellation protégée). Sérieusement, les saucisses et le Speck du Schwarzwald c'est Versailles dans ta bouche.

Et je ne parlerai pas plus que nécessaire de la célèbre Forêt Noire, celle qui se mange (et qui contient une autre de nos spécialités, le Kirsch) (Du schnaps, donc). Je me contenterai donc de rappeler à tous à quoi ressemble ce gâteau aimé de tous, qui contient tout ce qu'il faut pour se goinfrer (crème chantilly, chocolat, cerises, schnaps de cerise, encore plus de chantilly...) :


Mais derrière le cliché de ce gâteau d'alcoolo, la Forêt Noire est un endroit qui mérite qu'on y jette les deux yeux. D'habitude, les étrangers, quand on leur parle du Sud de l’Allemagne, pensent surtout à la Bavière - et plus particulièrement à l'Oktoberfest et à Neuschwanstein. Et c’est souvent déjà bien quand on en arrive là. J'ai remarqué, en discutant avec mes divers groupes d'amis que peu avaient une idée ne serait-ce que générale de la géographie allemande, et que quand je parlais de Forêt Noire à des Islandais ou à des Finlandais, c'est bien le gâteau qui leur venait à l'esprit. Il me faut essayer de corriger cela :
Une Forêt Noire. (source)

Car le Schwarzwald c'est aussi une région superbe et riche (aussi bien culturellement que pécuniairement, d'ailleurs) :
Ce qui reste de ce qui fut autrefois l'une des plus vastes forêts d'Europe.
La Forêt Noire, c'est un massif montagneux du sud-est de l'Allemagne qui borde la plaine du Rhin. En gros, c'est l'équivalent allemand des Vosges - et la ressemblance est souvent frappante lorsqu'on passe dans les régions boisées autour de Saint-Dié des Vosges et Épinal. Elle se trouve dans le Land du Bade-Wurtemberg mais n'a aucune existence administrative, seulement culturelle, un peu comme l'Alsace si le plan de fusion des régions françaises est appliqué. L'ensemble culturel est en fait constitué de la forêt Noire et de Baar, rassemblés dans l'arrondissement du Schwarzwald-Baar-Kreis, situé dans le district de Freiburg.

Donc quand en France les politiciens vous disent qu'en Allemagne y a moins de découpage et qu'il faut suivre le modèle allemand, repensez à ceci.

Tu vois, Islande : Ça, ce sont des arbres.
Le Schwarzwald est le massif de moyenne montagne le plus haut d'Allemagne, autant dire que j'ai donc profité dans ma jeunesse d'hivers bien froids et bien blancs, avec des routes bien encombrées au matin, comme il se doit, et des services de dégagement des voies qui savent qu'il neige en hiver, et y sont donc préparés, comme il se doit. Entre ça et le goût du fumage, je crois que toute ma prime jeunesse n'était qu'un entraînement à la Finlande.

Il est difficile pour moi d'énumérer ce que m'évoque la Forêt Noire dans un article comme celui-ci... Étant jeune lorsque j'y vivais, je ne peux pas nier qu'une certaine nostalgie puisse influencer ma vision de l'endroit lorsque j'y reviens des années plus tard. Néanmoins certaines choses sont toujours aussi prégnantes quand je passe du temps là-bas. L'odeur des sapins et des épicéas, la tendre mollesse des chemins de sous-bois recouverts d'aiguilles, la pénombre sous le couvert des branches touffues, lorsqu'on se promène entre les troncs aux rameaux décharnés, comme des mains griffues qui m'évoquent toujours l'ambiance des contes de Grimm - qui viennent d'ici, en même temps. Le son distant des coups de haches dans le bois tendre quand les arbres sont tombés, ou le vrombissement lointain des tronçonneuses qui m'arrive en échos. Le parfum des champignons qui flotte dans l'air en automne, le crissement de la neige en hiver. Le vert incroyable des prairies en été, l'explosion de couleurs quand les fleurs profitent du redoux au printemps. 

Le Hansele, une des figures emblématiques du Fasnet.
Ah, le printemps ! Quand chaque village se prépare à ressortir ses costumes de Fasnet (ou Fasnacht), le carnaval souabe-alémanique, pour des défilés aux imageries et symboliques pré-chrétiennes assumées se mêlant à la Pâques des catholiques (qui sont majoritaires dans ce coin-là d'Allemagne, contrairement à la majorité du pays). Ces costumes sont tout simplement magnifiques, colorés et spécifiques à chaque ville et village. Les masques en bois sont taillés d'une seule pièce, les gens qui les portent s'entraînent toute l'année pour ce festival du printemps. Malheureusement, depuis que je suis en Finlande, je n'ai pas pu être présent pour y assister à nouveau, mais j'espère en revoir bientôt, et si c’est le cas, je vous ferai un article rien que sur le Fasnacht. En tout cas j'y reviendrai plus tard, ça c’est certain. EDIT : Non seulement j'ai tenu ma promesse, mais c'est en fait toute une série d'articles que j'ai écris !

La nature, en Forêt Noire, est exceptionnelle. Entre les parties montagneuses et leurs falaises impressionnantes, ses forêts, évidemment, qui s'étendent à perte de vue, et ses pâturages où les vaches peuvent se mouvoir librement, on a toujours de quoi flatter son regard. Mention spéciale aux chutes du Triberg, les plus hautes chutes d'eau d'Allemagne (163 mètres, quand même !).

En hiver, les chutes n'en sont que plus belles avec la neige et la glace...
La puissance de l'eau malgré le gel...
Mais l'un des éléments caractéristiques du paysage de Forêt Noire, et que même la ressemblance vosgienne ne saurait tromper, c'est l'architecture typique des fermes, lesquelles se retrouvent partout et donnent cette patte au Schwarzwald :

On peut difficilement faire plus Schwarzwald, là...
Ces fermes sont énormes, puisqu'on y vivait avec toute la famille, les travailleurs saisonniers, et les bêtes. Aujourd'hui, la plupart sont reconverties en fermes-auberge et hôtels, pour le plus grand plaisir des touristes. L'énorme surface de toit est de plus en plus exploitées par la pose de panneaux solaires, qui s’intègrent assez bien à la structure puisque les tuiles sont généralement noires de toute façon.

Des fermes équipées de panneaux solaires.
Outre l'exploitation forestière, la Forêt Noire est surtout une région agricole, et il suffit de voir combien champs et pâturages sont présents dans le paysage pour comprendre le rôle que ce secteur tient encore dans la région. Pourtant, de par son paysage, ses traditions (notamment culinaires) et son emplacement géographique, au carrefour de l'Europe, c'est aussi un endroit très prisé des touristes, et particulièrement des randonneurs. La région est sillonnées de sentiers et de pistes cyclables, et est en hiver très fréquentée par les skieurs de fond. Je me rappelle avoir souvent observé certains skieurs traverser un paysage entièrement blanc par des températures indécentes et pensé "ah, les courageux"... En effet, certaines soins restent assez isolés et difficile d'accès par mauvais temps, et quand le blizzard souffle, il ne fait pas semblant.

Imaginez cet endroit en hiver, en ski. Ça monte, ça descend, ça monte, ça descend...
Pâturages verdoyants, vaches et forêt sur fond de montagnes : Bienvenue en Forêt Noire. Il faut imaginer de temps en temps le carillons des cloches de vaches alors qu'elles décident de se promener un peu.
On remarque d'une photo à l'autre que niveau climat, même si on s'en sort mieux que la moyenne nationale, on reste en Allemagne, hein.
Mais la Forêt Noire, ce sont aussi des centres balnéaires, avec notamment deux lacs phares du tourisme alémanique, Le Titisee et le Bodensee (que les Allemands partagent avec les Autrichiens et les Suisses, et autrement connu sous le doux nom de Lac de Constance) (Donc si vous vous rappelez de ce que j'ai dis sur le fait que à l'Ouest c'est la vallée du Rhin, vous comprenez que cette région est un carrefour, avec trois pays à ses frontières). N'ayant pas de photo du Bodensee, je vais quand même vous présenter le plus petit mais néanmoins charmant lac Titisee. Alors malgré les apparences, ces photos ont été prises en été, et je vous jure qu'il a fait beau le jour d'avant... Qu'on soit bien clair, hein...

Le Titisee. Et croyez-le ou non, mais il y avait des baigneurs ce jour-là !
Si quelqu'un se demande encore pourquoi je me sens chez moi en Finlande, cette photo répond peut-être à la question.
Le lac vu depuis les abord d'une ferme traditionnelle reconvertie en hôtel (ou un hôtel construit dans le style traditionnel, des fois, on ne sait plus trop) On a en fait une vue assez familière d'un lac sillonné par les pédalos, les kayaks et les voiliers. C'est généralement très calme et reposant, surtout quand on est juste à un café sur la berge et qu'on mange des glaces en profitant du paysage. J'ai un très beau souvenir du Bodensee avec ma tante et ma grand-mère qui font partie de ces chouettes moments indissociables de la région.
Et puis des fois, on a ce genre de villas fort classes qui sortent de nulle part...
Mais la Forêt Noire commence déjà en plaine, et la vue, lorsqu'on s'y trouve, vaut généralement la peine, qu'il fasse beau ou mauvais d'ailleurs. En automne et en hiver, notamment, j'adore quand les nuages sont si bas que les montagnes s'embrument... Quand on roule pour aller à Bräunlingen, le village d'origine de ma mère, on traverse Freiburg et on passe la Vallée de l'Enfer - oui, oui - pour passer le col. Et là, quand la brume avale le sommet des arbres et qu'on doit serpenter le long de la falaise sans y voir goutte, je dois dire qu'il y a de l'ambiance... Et quand enfin on traverse la couche nuageuse et voit les montagnes dépasser de cette mer de brume, c’est juste magique...

Le massif vu de la plaine, avec un champs de blé qui n'a pas encore été fauché.
Autre détail architectural, les églises. Il y en a un paquet, c’est le moins qu'on puisse dire, avec une forte représentation des clochers à bulbe. On trouve aussi beaucoup de petites chapelles un peu partout...

On notera que cette église possède encore son propre rempart médiéval.
Un village en Forêt Noire.

J'aime particulièrement tomber sur des petits hameaux isolés au milieu de nulle part, parfois simplement une ferme perdue dans les bois le long d'une route qui semble n'aller que vers plus de forêts et plus de pâturages.

Photo prise au détour d'une petite route forestière.
La vision familière d'un hameau au fond d'une vallée.
Voilà, je crois, comment je peux vous présenter succinctement la Forêt Noire et ce qu'elle m'évoque. C'est une région à laquelle je suis particulièrement attachée, qui m'évoque les odeurs des bois, les sons des pâturages, les fermes énormes plantées dans ce décor de rêve, des étés verdoyants et des hivers froids et blancs. Un dialecte qui se rapproche dangereusement du suisse allemand, avec des R qui roulent et des "ch" qui raclent au lieu de souffler, et qui pourtant sonne chantant et accueillant. Des printemps où l'on crie Narri Narro dans les rues lors du Fasnacht, des automnes où les forêts sont partagées entre leurs couleurs d'or et de sang et le vert éternel de ses sapins.

C'est tout ça, la Forêt Noire.

Un panorama qui parle de lui-même.

dimanche 21 septembre 2014

La France, l'Allemagne, l'Europe et moi

Quand on me demande d'où je viens, aujourd'hui, je réponds toujours "France et Allemagne". Ce n'est pas une réponse pratique, mais faute de mieux, je m'en contente. Car derrière cette question anodine se cache une véritable quête d'identité que je suis loin d'être le seul à partager. Quand on a deux nationalités, et qu'en plus on vient d'une zone tampon entre deux cultures qui n'a cessé de fluctuer, comment répondre simplement à "d'où viens-tu ?" ?

Comme j'ai l'intention de vous montrer bientôt l'Alsace et la Forêt Noire, je pense que c'est l'occasion rêvée de faire une petite rétrospective historique. Accrochez-vous, va y avoir du bloc de texte.

Alors déjà, plaçons l'Alsace, région française, et le Bade-Wurtemberg, Land allemand, dans leur contexte actuel, pour ceux qui n'ont aucune idée de où tout ça se trouve. L'Allemagne et la France partagent une frontière commune, dont une grande partie - mais pas toute - est délimitée par le Rhin, une "frontière naturelle".
Je ne vous ferai pas l'affront d'écrire qui est qui. (source)
La région française qui partage cette "frontière naturelle" c'est l'Alsace, et son voisin allemand, c'est le Bade-Wurtemberg :

(ou en allemand : Baden-Württemberg) (source de la carte)
Maintenant que vous avez une bonne idée de quoi je parle, remontons dans le temps.

Si la Souabe du temps de Charlemagne existait encore, ça me faciliterait bien les choses, puisque mes deux régions d'origines sont l'Alsace et le Bade-Wurtemberg, qui s'y trouvaient toutes deux comme on peut le voir sur cette carte :
La Souabe carolingienne : L'Alsace et le Bade-Wurtemberg sont dedans. (source de la carte)
Les frontières étant ce qu'elles sont, je ne suis Souabe sur aucun papier, mais historiquement, c'est le cas, quant à la langue, je suis bilingue français-allemand mais ne parle aucun dialecte. Ça devient compliqué. J'ai pourtant vécu dans en France et en Allemagne, dans les régions natales de mes parents : La Forêt Noire en Bade-Wurtemberg, d'abord, le pays de ma mère, et l'Alsace, en France, pays de mon père. Magie de l'Europe, je n'ai jamais vraiment eu à me poser de question en traversant le Rhin pour rendre visite au reste de ma famille, et la frontière n'a jamais été que la ligne qui démarque le moment où les panneaux changent de langue. Les dialectes des deux côtés du Rhin sont tellement similaire que marteler le fleuve comme étant une frontière naturelle me fait doucement rigoler, de toute façon.

L'Empire Romain. L'Alsace et le Bade-Wurtemberg sont dedans. (source de la carte)
Mais alors, cette frontière arbitraire qui fait de moi un binational, d'où sort-elle ? Et bien de ce cher Jules César, pour commencer. Notre Proconsul étant en guerre depuis des lustres pour "conquérir la Gaule" se doit de fixer une limite afin de pouvoir annoncer une victoire totale à Rome et rentrer pour son triomphe. Or il a défait le chef germain Arioviste en "Alsace", et en fixant la frontière sur le Rhin, César s'épargne une prolongation sanglante de sa campagne à l'Est - après tout il faut bien s'arrêter quelque part. Néanmoins, il faut préciser que déjà à l'époque, cette limite était arbitraire : des Germains et des Celtes vivaient largement des deux côtés du Limes, la frontière romaine, et dénommer la rive gauche "Gaule" et la rive droite "Germanie" est aussi subtil et correct que les frontières que les colons ont tracé à la règle en Afrique des siècles plus tard.

Mais soit, après la défaite de la coalition germanique menée par Arioviste, l'Alsace se trouve désormais officiellement du côté gaulois, dans ce qui s'apprête à devenir l'Empire Romain. Malgré plusieurs tentatives de pousser plus avant le Limes, ce dernier n'arrivera pas à envahir la Germanie, et la perte de trois légions dans les forêts du Teutobourg lui fera abandonner toute velléité sérieuse sur les nations germaniques : Le Bade-Wurtemberg, en revanche, situé dans le Sud de la Germanie, subira une période d'occupation romaine. Je précise que l'Alsace et le Bade-Wurtemberg en tant que tels n'existent évidemment pas encore, hein, mais c'est pour bien comprendre comment on en est arrivé là. Puis le Limes finira par reculer définitivement jusqu'au Rhin lors du déclin de l'Empire.

Venus du "Bade-Wurtemberg", entre autres, déferlent plus tard les Alamans, tribu germanique que les romains repousseront tant bien que mal, jusqu'en 406, ce fameux épisode de l'Histoire où le Rhin gela et où les Alamans et d'autres tribus germaniques traversèrent cette "frontière naturelle" à pied pour mettre les Romains en déroute. Les Alamans s'installent en Alsace, et même quand les Francs, une autre tribu germanique installée du côté de Paris, les vaincs en 496 sous le règne de Clovis, ils restent l'ethnie dominante dans la région dont le dialecte que certains parlent encore aujourd'hui est leur héritage direct. L'"Alsace" est alors franque et se fait christianiser, et le restera jusqu'en 962, où elle intègre le Saint Empire Romain Germanique. Et s'il y a eu un deuxième et un troisième Reich allemand, c'est parce que le Saint Empire est considéré comme le premier. Officiellement, c'est la première Allemagne, et l'Alsace en fait partie. Et c'est une période qu'on considère encore aujourd'hui comme son Âge d'Or, quand les bibliothèques humanistes fleurissaient, quand Gutenberg y inventait l'imprimerie, bref, vous saisissez.
Le Saint Empire Romain Germanique. L'Alsace et le Bade-Wurtemberg sont dedans. C'est justement à cette époque que la Souabe contient les deux. (source de la carte)
Pendant la Guerre de Trente Ans, de 1618 à 1748, la région sera en partie dépeuplée (60% environ, quand même) par nos amis les Suédois qui y inspirèrent pour des siècles l’expression même de terreur et de carnage. Une réputation qui ne doit pourtant pas nous faire oublier l'épisode ridicule du vaisseau de Vasa. Heureusement, des Suisses alémaniques trop heureux de s'installer dans cette plaine fertile n'ont pas hésité à donner de leur personne pour repeupler tout ça. Mulhouse, quant à elle, était une Cité État républicaine indépendante et s'en est donc bien sortie.

Les conquêtes de Louis XIV, dont l'Alsace. (source de la carte)
A partir de 1365, le Roi de France commence à s'intéresser de près à l'Alsace et y fait des incursions pour la voler à l'Allemagne. Il faut dire que la plaine et riche en ressource et en culture. Et quand les Français commencent à envahir la région, les Alsaciens se sentent-ils Français ? Demandons son avis au général de Breisach : « Je ne puis m'empêcher de dire que l'autorité du roi va se perdant absolument en Alsace. Les dix villes, bien loin d'être soumises au roi, sont presque ennemies. Il m'a paru de leur part une grande affection pour l'indépendance et un grand désir de demeurer membres de l'Empire. La noblesse de la Haute-Alsace va presque le même chemin. Haguenau a fermé insolemment la porte au nez de M. Mazarin et la petite ville de Münster l'a chassé honteusement il y a quelque temps. Je crois que le roi devrait prendre le temps qu'il jugerait à propos de Colmar et Haguenau à la raison. » Ou encore au cardinal Mazarin, justement : « Aucune ville d'Alsace ne pouvait me recevoir, soit parce qu'elles sont protestantes, soit parce qu'elles sont autrichiennes de cœur, soit parce qu'elles ont trop souffert des troupes françaises. »

Bref, l'intégration au Royaume de France ne se fait pas dans la joie et la bonne humeur. Ce qui commença avec Louis XI se conclut avec Louis XIV qui finit par prendre Strasbourg en 1681. L'Alsace est devenue française, sauf Mulhouse, qui reste une République Indépendante. Un siècle plus tard, c'est la Révolution Française, et curieusement, les Alsaciens sont très motivés pour renverser le roi. Étonnant, non ? La République de Mulhouse n'intègre qu'alors la France à son tour - et n'a donc jamais été sous l'autorité du Royaume de France. 

Détail remarquable, Rouget de Lisle compose à Strasbourg le Chant de Guerre pour l'Armée du Rhin, pour l'occasion. Néanmoins ce chant sera rendu célèbre par ceux qui l'ont chanté, des corps d'armées révolutionnaires venus de Marseille. Et oui, la Marseillaise, l'hymne national de la République Française, c'est le Chant de Guerre pour l'Armée du Rhin, et il vient d'Alsace.

Cependant, la Révolution qui promettait la justice et l'égalité tourne vite à la boucherie généralisée, aux massacres et à la Terreur. Après 15 ans de ravages, pour rétablir l'ordre et arrêter le bain de sang, les Français qui avaient crié "Mort au Roi !" crient désormais "Vive l'Empereur !"

Bien joué, les mecs.

Le Premier Empire Français. L'Alsace est dedans, pas le Bade-Wurtemberg, qui n'est qu'"inféodé" (source de la carte)
Napoléon Bonaparte va alors conquérir l'Europe pour répandre la bonne parole révolutionnaire, emportant dans son escarcelle le Code Civil et offrant donc à toute l'Europe l'administration moderne à la Française, celle qui, aujourd'hui encore, sert de modèle de base à plus de la moitié des systèmes juridiques du continent. Toutefois, si certaines terres conquises sont intégrées à la France, comme la Belgique, la Hollande et la Ruhr par exemple, le Bade-Wurtemberg lui ne sera qu'inféodé à l'Empire Français sans jamais en faire partie, il fait partie des ces États Allemands qui se querellent entre eux depuis la chute du Saint Empire. Ces États finiront heureusement pas arrêter leurs petites guerres intestines lorsqu'ils comprendront la force de l'unité face à un ennemi commun : En l’occurrence, Napoléon. Durant la Bataille des Nations, en 1813 à Leipzig, ils s'allient et réussissent à défaire les armées d'occupation française en formant la Confédération Germanique.

Alors que la France se remet péniblement de sa défaite et tente de se reconstruire sans être certaine si elle veut une République ou une Restauration, l'idée d'unité allemande croît de l'autre côté du Rhin. Le succès de l'unité allemande va commencer à faire germer deux projets distincts : Les ambitions autrichiennes, et les ambitions prussiennes. Les Autrichiens, accros aux empires titanesques qui se doivent de recouvrir toute la carte de l'Europe - un truc de Habsbourg, probablement - rêvent d'une Grande Allemagne qui se composerait, évidemment, de l'Autriche-Hongrie et des États allemands, sous la couronne viennoise, cela va sans dire. Les Prussiens rêvent d'une Allemagne plus "petite", mais plus forte. Après un bras de fer entre les deux puissances dominantes du monde germanique, c'est finalement la Prusse qui humilie l'Autriche dans l'Affaire du Schleswig-Holstein après une victoire militaire, à la surprise générale des autres nations européennes. Guillaume II, prince prussien, et son ministre génial, Otto von Bismarck (le père de la Real-Politik), emportent le pot et rassemblent les États allemands sous leur autorité. (source de la carte)
Seulement, pour pouvoir mettre la pâtée à l'Autriche, la Prusse avait dû s'assurer que la France ne prendrait pas ces mouvements de troupe pour une menace, ni ne viendrait participer pour soutenir l'Autriche si elle le lui demandait, en échange de promesses mirobolantes. La France de l'époque, c'est le Second Empire de Napoléon III. Malgré l'évidente tromperie de Bismarck, Napoléon III est tombé dans le panneau et - encore plus stupide ! - décide de le lui faire payer par les armes... alors que la Prusse vient de mettre une tatane à l'Autriche, puissance militaire dominante du continent, dois-je le rappeler. Mais non, notre Empereur se sent d'humeur joueuse et déclare la guerre à l'Allemagne.

Il perd la guerre en sept mois.

La France est humiliée, occupée par les troupes allemandes car oui, l'Allemagne s'est unie sous la houlette de Guillaume II, Empereur du Second Reich Allemand. Ce Reich est proclamé dans la galerie des glaces de Versailles, le bijou architectural de Louis XIV, ce Roi qui avait arraché l'Alsace au Saint Empire Romain Germanique... qui est venu la reprendre. Nous sommes en 1871, l'Alsace redevient Allemande, et emmène la "Lorraine" avec elle (enfin, la Lorraine façon de parler, la Moselle quoi)
Le Second Reich allemand. L'Alsace et le Bade-Wurtemberg (pas encore unifié) sont dedans. (source de la carte)
Après ça, les gens se rappellent un peu mieux, en général. La France, défaite et humiliée, doit payer 5 milliards de Francs Or en rançon, pour voir enfin partir les troupes d'occupation allemande, ce qu'elle fait grâce à une mobilisation populaire (l’État n'ayant plus un rond). Cela dit, les Allemands restent réglo et partent dès le dernier franc payé. Guillaume II a un Empire et des caisses pleines, et les Français ont les boules et la rancune. L'Alsace, quant à elle, sera partagée durant cette période allemande. Certes, le Kaiser va injecter énormément de fond dans les université des les travaux publics, y compris dans la restauration magistrale du Haut-Koenigsbourg. Mais des événements comme l'Affaire de Saverne ternissent le tableau : Certains Alsaciens ont longtemps l'impression de n'être que des citoyens de seconde zone auquel le Reichstag ne fait pas confiance. Pourtant, de manière générale, l'Alsace s'enrichit considérablement, notamment grâce à ses infrastructures massivement modernisées. On sent quand même que la "francisation" depuis la conquête de Louis XIV a porté ses fruits et que la région est divisée sur son appartenance.
 
Côté français, la soif de revanche va croître pendant quarante ans, jusqu'à ce qu'éclate la Première Guerre Mondiale en 1914. Le mot d'ordre ? "Récupérer l'Alsace et la Lorraine !" Genre. Il faut en fait comprendre "Casser la gueule aux sales boches.", ça n'allait pas beaucoup plus loin que ça. Les Allemands, eux, vont suivre leur allié autrichien dans la guerre, puis la défaite en 1918.

La France est très contente. Non seulement elle reprend l'Alsace-Moselle, mais elle impose à son tour une rançon sous forme de "dédommagement", officiellement appelé "indemnités de guerre" malgré les appels à la prudence de ses alliés. Mais la revanche, ça ne se laisse pas passer. Mais pourquoi faire dans la mesure quand on peut exiger d'une nation défaite et exsangue... 132 milliards de marks or ? Incapable de payer, l'Allemagne est plongée dans une misère noire que le Krach de 1929 ne va qu'empirer. La tête écrasée dans la merde par le Traité de Versailles, affamée et en colère, l'Allemagne va céder aux sirènes du populisme (tiens, un peu comme l'Europe des années 2010...) et se tourner vers un petit caporal autrichien qui a ramené avec lui son éducation politique viennoise, vous vous rappelez, les velléités de Grande Allemagne. Pas la peine de vous faire un dessin, Adolf Hitler prend la nationalité allemande, puis le pouvoir, puis les Sudètes, puis l'Autriche, puis le couloir de Dantzig, puis... l'Alsace et la Lorraine ! On y revient toujours !

L'Allemagne entre 1918 et 1937. Remarquez comme le Bade, le Wurtemberg Bade et le Wurtemberg-Hohenzollern ne sont pas encore rassemblés en Bade-Wurtemberg (ce qui n'arriva qu'en 1952) On peut distinguer le tracé de l'Alsace-Moselle qui sera reprise par les Allemands en 1940. En violet, l'Autriche, annexée en 1938. (source de la carte)
En effet, après que la France et l'Angleterre aient déclaré la guerre à l'Allemagne qui en est désormais à son troisième Reich, sans toutefois oser envahir le pays alors que toutes ses troupes sont en Pologne et que le cœur industriel allemand, la Ruhr, est sans défense, les troupes allemandes déferlent sur l'Europe de l'Ouest, remettent une tatane à la France et l'obligent à capituler. Et comme dans la mesquinerie absurde les Allemands ne valent pas mieux que les Français, ils forcent les vaincus à signer l’armistice de 1940 dans le même wagon que celui où les Français avaient fait signer l'armistice aux Allemands en 1918, et reprennent l'Alsace-Lorraine comme un trophée. Tralalère, c'est moi qu'a gagné.

Cette fois, l'occupation passe mal, et la population, qui commence à en avoir marre de changer de drapeau tous les vingts ans, n'est pas des plus cordiales avec l'occupant. Les méthodes du Führer, moins charmeuses que celles du Kaiser, passent par les menaces et l’incorporation de force des Alsaciens-mosellans dans la Wehrmacht. Ces jeunes hommes envoyés sous uniforme allemand pour mourir sur le Front Est sous peine de représailles contre leurs familles, on les appelle Malgré-Nous. Et mon grand père était l'un d'entre eux.

La guerre tournant rapidement au vinaigre pour le Reich, la France finira par reprendre l'Alsace et la Moselle en 1944-45, malgré une forte résistance allemande dans la Poche de Colmar. L'Alsace est redevenue française, et l'est restée depuis lors. Mais cette histoire n'est pas terminée.

Étant donné que "toute la France a résisté", comme nous l'inculquait le Grand Charles, la France a droit de s'installer à la table des vainqueurs, et elle en profite. L'Allemagne est dépecée comme un cerf, les Soviets prennent ce qui deviendra la République Démocratique d'Allemagne, un système autoritaire encore plus paranoïaque que le régime nazi qu'il remplace, tandis que la République Fédérale d'Allemagne est divisée en trois zones d'occupation, britannique, américaine, et française. La France occupe donc militairement la riche région industrielle de la Ruhr, comme au bon vieux temps de ce cher Napoléon, mais aussi... Le Bade-Wurtemberg ! Enfin lui aussi a droit a un peu de variation culturelle !

Plusieurs casernes sont alors déployées sur le territoire allemand dans la zone d'occupation française, y compris dans une petite ville de Forêt Noire appelée Donaueschingen. Des soldats Français viennent faire leurs mutations dans ce pays plein de charmes qui ne sont pas forcément tous culinaires. Dans une époque où l'Europe post-guerre mondiale se décidait enfin à s'unir et à travailler ensemble, les haines se sont (très) lentement estompées, l'amitié franco-allemande a fini par germer. Les casernes françaises en Allemagne ont fini par être transformées en Brigade Franco-Allemande où soldats des deux pays travaillaient côtes à côtes, et justement, la première caserne de ce genre fut Donaueschingen, où mon père fut affecté deux fois. Il fut présent lorsque la BFA fut créée et c'est lors de son premier séjour à Donau (pour les intimes) qu'il y rencontra ma mère, une Allemande.

L'"amitié" franco-allemande, je ne vous fais pas un dessin, pouf, me voilà.

Quelques années plus tard, le Mur tombe, l'Allemagne se réunifie, moi je déménage en France après avoir passé ma prime jeunesse en République Fédérale d'Allemagne. Enfin, je déménage... en Alsace. Je pense qu'après ce petit résumé de l'histoire du bassin Rhénan, on comprend que l'Alsace française c'est bien beau, mais c'est pas complètement vrai, en fait. Si culturellement et linguistiquement il n'y a pas de doute sur sa nature germanique, historiquement on est sur une constante balance, un jeu de ping-pong absurde dont les alsaciens furent les grands perdants. A chaque changement de nationalité, la langue officielle précédente est bannie, punie... et c'est un mini-génocide culturel qui s'enclenche à chaque fois. Le dernier en date a d'ailleurs failli tuer le dialecte alsacien. L’Alsace est germanique et française et allemande. Et c'est justement ce que je suis aussi. De par ma culture et mon éducation parentale, je suis germanique, de par mes origines et mes racines, je suis Français et Allemand. Et de par mes opinions et mon éducation personnelle, je suis Européen. Au bout d'un moment, cette dichotomie franco-allemande a fini par perdre son sens lorsqu'il s'agit de définir mon identité.

Mais encore une fois, faute de mieux, je dois m'en contenter.

Les frontières aujourd'hui, en 2014. En bleu, l'Union Européenne. L'Alsace et le Bade-Wurtemberg sont dedans. (source de la carte)


Pour rappel :


La France en tant que pays commence avec Clovis couronné Roi des Francs en 481. Récemment conquise, l'Alsace en faisait partie.

L'Allemagne en tant que pays commence avec le Saint Empire Romain Germanique en 962. Récemment conquise, l'Alsace en faisait partie. La République Fédérale d'Allemagne, elle, n'est réunifiée que depuis 1990.

L'Alsace, qui a été constamment prise et reprise par la Franc(i)e et l'Autriche/Allemagne depuis la chute de l'Empire Romain est, ironie du sort, la région d'origine des Habsbourg, la plus grande et influente dynastie royale / impériale d'Europe.

Le Bade-Wurtemberg en tant que Land n'existe que depuis les années 50. La Forêt Noire, elle, n'a aucune existence administrative et n'est qu'une région culturelle.

L'Union Européenne commence avec la Communauté Européenne du charbon et de l'Acier en 1951. La France et l'Allemagne sont parmi ses membres fondateurs. 

L'Alsace accueille de nos jours à Strasbourg le Conseil de l'Europe, le Parlement Européen et la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

samedi 20 septembre 2014

Le Road-Trip grec : Retour à Xylokastro et leçons de mon SVE

Après ma visite des Météores, j'en étais resté à ce moment où j'attendais mon train à la gare de Kalambaka, sac à dos aux pieds, chapeau fatigué posé dessus. Entre ça et le coup de soleil sur ma peau de roux, difficile de ne pas se rendre compte que je n'étais pas vraiment du coin, même si j'avais pas les attributs habituels des touristes randonneurs. Mon sac n'était pas un sac Decathlon de la mort qui tue mais un Eastpack d'étudiant, mes pompes n'étaient pas des bottes de randonnée mais des chaussures de ville usées jusqu'à la trame dont les semelles tenaient à peine (chaussures achetées avant de partir en Grèce, et qui ont fini direct à la poubelle dès mon retour en France), je ne portais pas de vêtements de sport étudiés pour l'effort mais un jean (ouais, je sais, en juillet... en Grèce) et un T-shirt, ni de lunettes de soleil profilées teintées couleur essence.

(Et j'ajouterai en tant que mec : pas de barbe faussement négligée mais dont pas un poil ne dépasse parce qu'en fait on en prend soin tous les matins mais qu'on veut faire style je suis roots et je m'en balance, j'suis un aventurier. Ouais, ces gens-là, vous les avez forcément croisés durant vos randonnées.)

N'ayant pas de photo de la gare, voici une vue en plongée... de loin...
Un touriste en solo, donc, mais pas le pseudo-baroudeur. D'ailleurs depuis ça a changé, mais en pire, puisqu'à force de m'équiper Armée de Terre et Bundeswehr je ressemble probablement à milicien sans abris. Bref. Quoi qu'il en soit, je n'avais pas le type touriste en solo habituel. C’est probablement pourquoi la femme qui s’est assise à mes côtés s'est senti suffisamment curieuse pour engager la conversation, avec l'éprouvé "D'où venez-vous ?", un classique qui a fait ses preuves. A l'époque, je ne compliquais pas les choses et répondais généralement "France", ce qui cette fois-ci m'a valu un grand sourire radieux et une réponse en Français. Car la Grecque en question tirait une grande fierté d'avoir étudié à Paris et vécu en France pendant quelques années, et on s'est mis à papoter un peu de la France, sa nourriture, sa culture, son actualité, et la Grèce aussi, du coup, le tout dans une grande cordialité. Sauf que forcément, parler de la situation de la Grèce en juillet 2010 c'était immanquablement évoquer le Grand Satan, la source de tout mal et de toute injustice, la nation de l'Antéchrist.

L'Allemagne.

(frisson).

Parce que oui, les Allemands sous la régence ferme d'Angela Merkel mettaient du temps à cracher au bassinet, et en plus n'en étaient pas particulièrement heureux. Du coup, haine et reproches pleuvaient sur les terres de Goethe et Schiller. J'avais tout entendu sur les Allemands, ces odieux fascistes mal dénazifiés qui réussissaient par l'économie ce qu'ils avaient échoué à obtenir par les panzers, grâce à leur Cheval de Troie : Le Großdeutschemark, nom de code €uro. Enfin, je croyais avoir tout entendu. Car une fois le sujet lancé, ma chère interlocutrice s’est mise à me parler des Allemands, qu'elle m'avoue détester. Ce sont "les pires", des "menteurs et des racistes" (là, j'ai voulu parler de l'attitude des Grecs vis-à-vis des Albanais, des Turcs, des Bulgares, bref, de tous leurs voisins, mais ça devenait trop intéressant pour l'interrompre). Les Allemands, appris-je, étaient des gros hypocrites qui n'avaient pas changé depuis les années 40. En fait, à l'écouter, une faille s'était ouverte dans le no man's land entre la France et la Pologne, déversant sur ces terres impies et reniées par Dieu une véritable armée de Soldats du Diable, faits de haine et de méchanceté pures, orientées plus particulièrement sur la Grèce, qu'ils jalousent, évidemment.

Et pour parachever la démonstration, mon argument préféré : "Les Allemands sourient comme s’ils étaient polis, mais ils ne le sont pas."

Et moi, j'étais assis là, souriant de toutes mes dents, comme si j'étais poli. Mais je ne l'étais pas, évidemment, je me devais donc de l'en informer, malgré mon hypocrisie innée et ma méchanceté naturelle : "Je comprends, mais bon, comme j'ai la double nationalité franco-allemande, ma mère étant allemande..."

DUNDUNDUUUUUUN.

Là, son visage se décompose un moment, elle cherche une porte de sortie, et s'en sort avec le classique mais éprouvé lui aussi : "Mais moi, ce que je critique, c'est les dirigeants, pas le peuple, hein." HAHAHAHA ta gueule, pensais-je. Mais j'ai opiné, de mon plus grand sourire allemand, je l'ai laissée creuser un moment et savouré son inconfort avant de changer de sujet. Mon train n'a pas tardé à arriver, ça tombait bien, mais j'ai profité de chaque seconde de malaise avec un plaisir mesquin probablement inscris dans mes gènes démoniaques.

Muahahahaha !

Bref, je me suis bien poilé avant un voyage en train dont je ne peux pas beaucoup parler : J'ai roupillé quasiment tout le trajet jusqu'à Athènes. Le Road-Trip avait été crevant, et je m'accordais enfin de m'abandonner complètement au sommeil - pas de risque de manquer un arrêt cette fois. Une fois à Athènes, il faisait déjà nuit, j'embarque dans la foulée dans un autre train direction le Péloponnèse : Corinthe, puis Kiato, où je descend, content de me savoir bientôt rentré après une longue journée de marche sous le soleil et de transports. Sauf qu'il est tard, très tard, et il n'y a plus de bus direction Xylokastro, où j'habite. Problème : il n'y a pas de taxi à la gare non plus. Je me fais embarquer par une petite famille fort sympathique qui avait pris le même train et qui me dépose au centre-ville, à la gare de taxis... Déserte, elle aussi. Là, j'étais surpris : Aucun taxi ? Du tout ? Kiato n'est pourtant pas si petit... Qu'à cela ne tienne, je sais qu'il suffit de longer la côte en marchant sur la route principale pour rejoindre Xylokastro, puisque c'est la route que je prend tous les jours pour aller à Velo, pour le boulot. La distance est un peu floue dans mon esprit, mais c'est le milieu de la nuit et j'ai pu dormir un peu entre Kalambaka et Athènes, donc je me sens d'humeur randonneuse.

En plus de ne pas avoir le choix.

Les plages que j'ai dû longer (mais de nuit cette fois). Dure, la vie, hein.
Alors grâce à Google je peux vous le dire assez facilement à l'heure à j'écris ces lignes : Kiato - Xylokastro c'est 13 kilomètres. Heureusement, avant de sortir de Kiato j'ai pu m'acheter une Pita dans un kiosque juste avant qu'il ferme, et faire mon petit extra de marche sans avoir à souffrir d'un ventre creux. Ce fut une belle ballade, même si j'ai eu quelques moments un peu stressants parce que les conducteurs roulaient comme des dingues, probablement alcoolisés vue la conduite, et je n'avais pas de réflecteurs à l'époque (C’est venu avec la Finlande, ça). J'ai aussi été choqué en passant par un trottoir où s'étalait - littéralement - un cadavre de chat éventré et qui avait visiblement séché au soleil depuis plusieurs jours sans que personne n'estime nécessaire de l'enlever... alors qu'il se trouvait sur le bout de trottoir qui passait devant le jardin d'une maison où traînait un petit tricycle d'enfant. J'ai toujours du mal avec ce détachement des Grecs et la normalité d'une telle chose (voir traîner des cadavres d'animaux, là-bas, est loin d'être extraordinaire...). Je comprends qu'ils soient blasés par tous les chats et chiens errants (et malades) qui vagabondent et meurent un peu partout, mais perso, j'ai un chat mort devant chez moi, je le laisse pas sécher à la vue des mes gamins ! Mais je dois être trop Allemand, j'imagine.

L'église de Xylokastro, à titre d'illustration.
Finalement, après quelques heures de marches, j'arrive à Xylokastro tandis que l'aurore pointe le bout de son nez. Je passe devant un kiosque à Pita qui s'apprête à ouvrir et y achète et une boisson avant de traverser la ville et rentrer à notre appartement. J'avais parcouru tellement de kilomètres en solo ces derniers jours, avec une "petite marche de nuit" pour conclure, et je m'apprêtais à boucler la boucle. C'était excitant et grisant, j'achevais mon premier road-trip en solitaire, et ça s'était bien passé. Et pour la première fois, j'étais le seul à blâmer pour les choses qui avaient mal été préparées, mais aussi le seul responsable du succès du voyage. Et ça, c'était chouette. J'étais fier de moi, et me promettais de retenter l'expérience dès que possible (bon, finalement, un voyage similaire n'arriva que quatre ans après, durant mon stage en Islande...). 

Mais cette sensation euphorique de satisfaction ne me venait pas que du voyage. Je traversais Xylokastro en repensant à ce Service Volontaire Européen qui s'achevait dans une semaine. Six mois dans cette ville, plein de souvenirs, d'anecdotes, de bons moments, de moins bons aussi, mais une très bonne expérience qui s'apprêtait à s'achever. Ce Road-Trip était une sorte de baroud d'honneur, et cette traversée de Xylo' un adieu officieux. Car j'étais déjà en train de me préparer mentalement à rentrer, à planifier dans ma tête les étapes suivantes, notamment m'inscrire dans une université en Allemagne afin d'y étudier le travail social. Je pensais au Land dans lequel j'aimerai éventuellement m'installer, m'imaginant déménager à Fribourg pour revenir à ma Forêt Noire. La Grèce, c'était déjà fini, le Grand Final, c'était les Météores, j'en étais persuadé, et j'étais très, très content et satisfait de rentrer. La mentalité grecque commençait à me peser, la chaleur également, j'étais prêt à repartir.

Le dernier jour de mon SVE se lève sur la plage de Xylokastro
Du coup, je suis rentré, j'ai dormi comme un loir, et en me réveillant le lendemain matin plus tard, quand le soleil était déjà bien levé, je n'attendais plus rien de cette semaine qui allait filer à toute allure de toute façon. D'ailleurs, je me disais "j'aurais dû tenter Venise, vu le temps qu'il me reste", tant il me semblait que ces derniers jours ne seraient qu'une longue attente. Les gens m'ont salué "Mais... t'es rentré ?" "Oui, cette nuit." "Mais t'étais pas là quand on est rentré de la plage, cette nuit" "Bah je suis rentré encore après, j'ai marché depuis Kiato" "..... t'es malade, en fait." Et puis, dans l'après-midi, quelqu'un lance l'idée : Ce soir, on va aller sur la plage regarder le soleil se coucher, on passera une nuit blanche, et on le regardera se lever à nouveau. Tout un groupe de volontaire s'enthousiasme, et nous nous y rendons comme prévu. Cette nuit là, alors que tous les autres volontaires finiront par s'endormir, seuls deux volontaires tiendront le coup et verront le soleil se lever : Ada et moi. C'était notre première véritable conversation, elle a duré 17 heures, et elle a fait tomber mes plans d'études en Allemagne aux oubliettes. Après une semaine à nous rapprocher, nous avons passé ma dernière nuit de SVE sur cette même plage pour regarder se lever le soleil, quelques heures avant mon départ, et un an plus tard, je la rejoignais en Finlande pour y étudier la socionomie.

C'est marrant comme les choses fonctionnent, parfois. Après un Road-Trip qui me paraissait être le pinacle de mon séjour, l'expérience grecque s'achevait dans quelques jours seulement, et sorti de nulle part, un nouveau tournant inattendu m'attendait. Alors même que tout semblait plié et que plus rien ne semblait pouvoir changer après 5 mois et 3 semaines. Comme quoi, il faut vraiment profiter de nos expériences jusqu'à la dernière seconde, on ne sait jamais ce que celle-ci nous réserve. Car l'expérience qui a eu le plus gros impact sur la suite de ma vie eut lieu les sept derniers jours de ces six mois.

C'est une des grandes leçons de ce Road-Trip et de mon SVE en général. Ne pas abandonner, et ne pas croire que les dés soient déjà jetés. S'attendre à l’inattendu, et l’accueillir quand il vient. Même quand il ne fait pas plaisir, en fait. Car l'ironie du sort, c'est que j'avais tenté pendant des mois de trouver un projet dans des pays Baltes ou Nordiques (j'avais pas mal tenté la Suède, l'Estonie, la Lettonie, le Danemark et la Finlande), pour y passer six à douze mois, à travailler avec des ados, réfléchir à mes études, et revenir à Strasbourg. Une amie m'écrivait d'ailleurs à l'époque "Qui sait, tu rencontreras peut-être une jolie finlandaise et tu voudras plutôt rester là-bas !". Mais aucun projet ne m'a pris, notamment pour raisons financières. Quand on m'a finalement proposé de remplacer un volontaire sur un projet financé et validé, c'était complètement à rebrousse-poil : L'un des pays les plus au sud de l'Europe, et un projet avec des personnes âgées, le genre de projet que j'aurais jamais recherché spontanément. Or, je sais maintenant grâce à mes études que travailler avec des ados n'est pas mon truc, et je serais donc probablement rentré de mon SVE sans être plus avancé qu'en y allant. Travailler avec des personnes âgées m'a ouvert une vocation que je n'aurais pas été chercher par moi-même, en cela je suis ravi de ne pas avoir réussi à trouver le projet que je cherchais et d'avoir été parachuté ailleurs par le Destin. Et pour couronner l'ironie de l'histoire, j'ai quand même rencontré une Finlandaise en Grèce et je suis bien parti dans un pays nordique, finalement, alors que je m'apprêtais à partir en Allemagne. Plutôt que d'y rester six à douze mois, j'y vis maintenant depuis 3 ans.

La vie a une drôle de façon de nous amener là où elle le veut, elle nous force à passer par des chemins qui ne sont pas toujours faciles à emprunter ni ceux qu'on aurait tendance à vouloir arpenter. Si j'avais fait le SVE que j'espérais, j'aurai vu l'Estonie ou la Finlande et serai probablement reparti comme ce fut le cas avec l'Islande, et sans savoir quoi étudier. En partant en Grèce, j'ai trouvé ma voie, avant de trouver le chemin de la Finlande en ayant un plan d'études. Ce fut un détour qui m'a non seulement amené où je le souhaitais, mais en m'y préparant afin d'en faire une expérience non seulement meilleure, mais aussi plus significative. Penser que si j'avais passé quelques jours à Venise durant ce Road-Trip je n'aurais pas rencontré Ada et serai parti en Allemagne comme prévu me laisse pensif. 

Quoi qu'il en soit, c'est ce que je retiendrais de cette expérience grecque : L'imprévu, aussi amer, décevant ou agaçant qu'il soit, n'est pas un retard, ni du temps perdu, mais un détour pour mieux me préparer à la l'étape suivante. Et voir les choses de ce point de vue-là m'a permis de reconsidérer pas mal de choses dans ma vie et m'aide encore aujourd'hui à avancer plus sereinement.

vendredi 19 septembre 2014

Le Road-Trip grec : Meteora

Ça y est, enfin, les Météores. J'ai fait près de 400 kilomètres pour voir cet endroit, sans compter le petit détour par Céphalonie. Le but de mon voyage, le lieu qui m'avait tant attiré et fasciné dès que j'en avais entendu parler... Est-ce que la visite fut à la hauteur des espérances ?

Oh, que oui. Et plus encore.

Je suis descendu du bus par une chaleur déjà à peine tolérable, alors que nous n'étions que le matin, et je me préparais à une journée placée sous les auspices de la sueur et de la soif. Mais qu'importait, je marchais sur le petit parking dans les hauteurs des Météores, et à mes yeux s'offraient un paysage absolument superbe, qui en plus était loin des clichés grecs dont je commençais à me lasser. Devant moi, j'avais ceci :
Un des monastères des Météores, perché sur sa falaise.
En fait, il aurait fallu faire une vidéo et un panorama pour bien rendre la beauté et l'immensité de ce massif étrange. Les montagnes aux formes étranges causées par l'érosion accueillent plusieurs monastères orthodoxes bâties sur les corniches les plus improbables et aux sommets de ces colonnes immenses auxquels on n'accède par des escaliers étroits et sinueux ou des ascenseurs en bois (bon, ceux-là ne sont plus vraiment utilisés, hein). Ainsi, ces lieux sacrés ont été longtemps protégés des différentes invasions, notamment ottomanes. Leur localisation extrême explique ce nom de Meteora, soit "suspendu dans le ciel".

Même si j'aime à penser qu'on les appellent Météores parce que ces montagnes sont en fait des météorites écrasées en Grèce et recelant quelque antique secret expliquant la construction de ces monastères atypiques... Mais c'est une interprétation toute personnelle, hein.

Je me met en marche et après une passerelle de pierre je je me dirige vers mon premier monastère de la journée : Le Grand Météore.

Le monastère du Grand Météore, datant du XVIème siècle et juché à 534 mètres d'altitude, ma première visite.
L'entrée du tunnel après la passerelle, qui mène à l'escalier. Au-dessus, on peut voir au sommet de la tour la cabine en bois de l'ascenseur à traction manuelle. Les moins y hissaient la cabine à la force des bras pour remonter des vivres ou des visiteurs... Quand on voit le système, on comprend la piété de ces gens-là, car il faut vraiment, vraiment avoir confiance en son Dieu quand on emprunte ce genre de truc... Je vous laisse imaginer la chute en cas d'incident technique...
L'escalier en question, vu de l'autre côté de la falaise. Inutile de préciser qu'un éventuel attaquant aurait bien du mal à faire monter une armée, et qu'une poignée de défenseurs peuvent aisément en bloquer l'accès. Creusé à flanc de falaise, il se transforme parfois en tunnel, comme on peut le voir ici. Si vous avez le vertige et qu'emprunter des escalier creusée dans une falaise érodée vous inquiète quelque peu, cet endroit n'est simplement pas pour vous.
La visite fut une belle surprise, car je m'attendais à un endroit entièrement transformé en lieu touristique, mais en fait les monastères sont encore activement habités par des moines, et certaines parties avaient un accès restreint et des horaires spécifiques, pour laisser les religieux en paix. De plus, le côté musée ne se contentait pas de présenter l'endroit lui-même mais avait aussi des détails sur l'Histoire de la Grèce, des costumes traditionnels, bref, un vrai petit musée généraliste sur le pays et des explications sur l'histoire du site. Une bonne surprise, donc.

Dommage que la partie musée souffre autant du manque de recul des Grecs sur leur propre Histoire et de leur tendance à oublier un peu vite les choses qui ne rentrent pas dans l'image de la Grèce glorieuse et éternelle, comme j'en parlais dans ce billet (le tableau dont je parle dans l'article est justement exposé dans ce musée). Après, les tableaux patriotiques sont marrants cinq minutes, mais l'accumulation devient vite pesante, surtout quand le musée passe tout son temps à raconter comment les Grecs se sont débarrassés des Turcs et ont tenu tête aux Italiens - tout seuls, comme des grands, en plus. J'adore par exemple le tableau où une troupe de soldats grecs met en déroute une escouade turque, qui s'enfuit à toutes jambes en laissant derrière elle un monceau de cadavres, derrière lequel se cache un Turc chafouin et traître qui, de son petit pistolet, abat sans honneur l'un des braves combattant de la liberté hellène. Le tout sous les yeux de la Vierge Marie que les nuages lumineux laissent apparaître, portant la bannière grecque dans ses saints bras :

Photo prise tant bien que mal par Ada-Maaria Hyvärinen (interdiction de prendre des photos, normalement, il faut acheter les livres et cartes postales à des prix défiant toute concurrence) On notera l'ancien drapeau grec qui, non, n'est pas le même que celui de la Finlande.
En revanche, l'occupation allemande est réglée en deux cartouches explicatifs, pour dire que tant de popes des Météores ont été exécutés. Quid d'explications sur la victoire écrasante de l'Axe dès l'arrivée de la Wehrmacht, rien sur les mois d'occupation, sur les combats de libération et l'aide monumentales des Anglais et des Alliés en général... Ni sur la Dictature des Généraux... On glorifie le Jour du Non sans rappeler que la Grèce était elle-même une dictature d'extrême-droite... Bref, au bout d'un moment, le kitsch qu'on pardonne avec un petit sourire amusé laisse la place à un sentiment de malaise.

Heureusement le monastère a bien plus à offrir que de la propagande mal dégrossie.

Déjà, la vue. Imprenable depuis les hauteurs, elle permet de profiter des canyons et d’apercevoir les autres monastères au loin.

Vue d'Agios Nikolaos, ou Saint Nicolas. En fait, on peut toujours voir au moins un monastère où qu'on soit, ce qui devait être bien pratique pour donner l'alerte discrètement. En fait ce sont de véritables forteresses, très bien étudiées et probablement mieux préparées pour des sièges que pour des pèlerinages paisibles. Cela dit, pour vivre reclus et se rapprocher du divin, l'endroit est parfait.

On me pardonnera la luminosité, mais on comprendra que j'avais pas vraiment le choix de mon angle de prise de vue, hein.
Mais dans le monastère lui-même, la ballade vaut le coup et s'y promener offre un moment charmant, où l'on passe de petites terrasses en petites terrasses, de balcons à promontoires, avec plusieurs autels et une superbe chapelle (qui a précédé le monastère puisqu'elle fut construite au XIVème siècle, elle)

On dirait presque un petit village de montagne...
La grande église qui a "avalé" la chapelle originale. Et des gens qui cherchent un coin d'ombre, aussi. On ne s'en rend peut-être pas compte, mais il fait très, très chaud, malgré l'altitude relative. Et il n'y a pas de vent ce jour-là, paye ton mois de juillet en Grèce loin de la côte.
Un des jardins des moines... Adorable.
Murs peints, fresques et tableaux religieux offre un régal pour les yeux, l'avantage de l’orthodoxie et de son irrépressible besoin d'en mettre plein la vue à coups de dorures et de couleurs chatoyantes.
Mais j'avais bien l'intention de visiter plusieurs monastères, donc je me suis mis en route. J'ai redescendu l'escalier étroit pour rejoindre l'autre côté du gouffre et longer la route en direction du monastère de Varlaam. J'achetai une bouteille d'eau au petit kiosque sur le parking et m'engageai sur la route, vu qu'aucun sentier ne semble s'y rendre, et je me demande si les gens qui conduisent se rendent compte qu'à part marcher sur le muret ou dans le fossé je ne peux pas serrer ma droite mieux que ça... Faut dire que plus on s'approche de 11h, plus les bus et les voitures s'accumulent, on sent venir l'heure de pointe des visites organisées et des touristes mobiles.

Varlaam, juché sur son piédestal de roche.
Même sans défis architecturaux, le site est tout simplement magnifique.
Varlaam.
Agios Nikolaos est en fait un couvent, relativement petit, mais avec une ambiance assez particulière... Peut-être justement parce qu'assez isolé, et à cause de l'absence de terrasses et jardins accueillants comme pour les monastères. On se sent plus comme dans un refuge perché sur une tour inaccessible.
Je ne ferai pas un rapport pour chaque monastère, ce serait assez redondant, et pour être honnête, inutile de visiter chacun d'entre eux, sauf peut-être pour les différents angles qu'ils offrent sur ces vallées et ces canyons tourmentés. En soit, ils sont tous à peu près similaires, mais je recommande le Grand Météore pour son côté synthétique et son musée (et c'est le plus grand ainsi que le plus vieux de ce regroupement monastique), ainsi que le couvent Agios Nikolaos, qui est plus intimiste. Pour illustrer l'intérêt du changement d'angle, prenons justement Agios Nikolaos, qui il faut bien l'avouer est extrêmement photogénique. La photo précédente, prise sur le chemin, offre ce côté encastré dans les montagnes, isolé de tout (on ne voit pas la route etc.) Mais vu depuis les terrasses de Varlaam, le couvent semble dominer une vaste forêt, et offre une grisante impression d'espace :


Vue de la même terrasse. On voit au loin les montagnes aux allures plus classiques qui forment habituellement l'horizon grec. On voit l'urbanisation juste aux pieds des Météores et on se rend compte de l'incongruité de cet endroit étrange planté au milieu d'un paysage autrement "typiquement grec". La photo me permet aussi de montrer le drapeau de l'église orthodoxe grecque flottant à côté du drapeau national.
Chaque accès aux différents monastères offre des vue plongeante incroyables, par escaliers, ponts et passerelles ou tunnels. Ça aussi ça peut valoir le coup de faire plus d'une visite.
Donc encore une fois, si vous avez le vertige, évitez certaines terrasses.
Certaines formations donnent vraiment l'illusion d'un autre monde...
Les mecs je suis sûr qu'ils ont regardé ces montagnes, ont picolé plusieurs bouteilles d'Ouzo et se sont lancé des défis du genre "Où est-ce qu'on pourrait construire les monastères les plus chiants à rejoindre ?" "Ah, la corniche, là, je la sent bien !"
Cela dit, il y a souvent plus qu'on n'y voit au premier coup d’œil. Par exemple, quand je disais qu'Agios Nikolaos n'avait pas les grandes terrasses et jardins des autres monastères, ça ne veut pas dire qu'il n'y a rien, et même si on ne pouvait pas s'en douter en l'observant sous toutes les coutures depuis les falaises environnantes, on a la surprise de découvrir ce petit coin tranquille au sein de ses murs :

C'est seulement une fois dans l'enceinte du couvent qu'on découvre, à l'abri des hauts murs, ce petit jardin secret. L'accès est réservé aux nonnes.
Agios Nikolaos étant situé plus bas que les autres, l'endroit offre de belles contre-plongées...
Finalement, j'ai dû remonter la route pour reprendre la navette. J'avais prévu de rentrer à pieds par le sentiers mais j'étais bien plus fatigué que je ne pensais, et j'avais très soif aussi, prudence étant mère de sûreté, j'ai changé de plan. Et ce fut une bonne chose, puisqu'en remontant j'ai croisé le Porto-Ricain que j'avais rencontré la veille, avec qui j'ai pu papoter de nouveau et prendre le bus pour retourner à Kalambaka. Ça m'a redonné de l'énergie après une journée assez crevante, et on est allé encore boire un coup en ville avant de se dire adieu. Car je ne restais pas.

J'aurais pu prendre une nuit de plus à l'hôtel mais un train partait de Kalambaka encore dans les temps, et allait traverser toute la Grèce continentale du Nord au Sud pour rejoindre Athènes, autant dire que j'avais largement le temps de dormir dans le wagon. Du coup j’ai mangé un morceau vite fait et me suis installé sur un banc de la gare, attendant de quitter cet endroit superbe et m'en retourner à Xylokastro... 

Et c'est justement sur ce banc que j'ai fait l'une de ces étranges rencontres, en l’occurrence une femme grecque francophile... et totalement germanophobe. Je vous raconterai ça dans mon dernier article sur ce road-trip :-p


Les Météores fin décembre. Y a moins de trafic, hein ?
Alors que retenir de Meteora ? C'est le plus bel endroit que j'ai visité en Grèce. Je suis tombé sous le charme et c'est bien un endroit que j'espère revoir un jour. En fait, j'y suis déjà retourné six mois après, quand j'ai rendu visite à Ada qui finissait son SVE en décembre. Elle avait également deux amies finlandaises venues passer nouvel an avec elle, et nous sommes tous les quatre parti visiter les Météores entre Noël et Nouvel An. Les températures étaient bien moins oppressantes, nos respirations se condensaient en larges volutes, c'était une expérience complètement différente. Comme elles voulaient visiter un endroit spécial et avaient déjà vu Athènes, j'avais chaudement recommandé les Météores, et personne n'a été déçu du voyage. Le paysage est grandiose, et les monastères sont ingénieux et changent des monuments habituels qu'on voit partout dans le pays. Alors oui, même s'il n'y a pas grand chose d'autre dans les environs, si vous êtes en Grèce, faites ce petit détour, il le mérite amplement.