mercredi 15 octobre 2014

Impressions danoises (Partie 3) : Cimetière viking à Lindholm Høje

Alors que notre séminaire touchait à sa fin, nous nous sommes tous dit au-revoir, Norvégiens, Danois et Finlandais, parce que les Norvégiens partaient plus tôt pour passer un week-end tranquille à Copenhague avant de rentrer parce que leurs vols étaient compliqués. Nous autres du groupe finlandais, on étaient tous bloqués à Aarhus. Tous ? Non ! Un irréductible curieux résista encore et toujours à l'appel de H&M et se décida à prendre le train direction Lindholm Høje, au nord du Jutland.

Petit rappel géographique pour les nuls - et plus généralement ceux qui s'en foutaient un peu en cours, du Danemark - le Jutland, pays des Jutes, c'est la partie du Danemark dont tout le monde pense que c'est le Danemark en oubliant généralement les îles à côté (où se trouve pourtant Copenhague, la capitale). C'est la partie continentale du pays, accolée à l'Allemagne. Sur cette carte vous pouvez voir Aarhus (orthographié Århus) sur la côte Est, dans l'Est-Jutland. Pourquoi l'orthographe Århus au lieu de Aarhus, me demanderez-vous ? Parce que la ville, autrefois appelée Aarhus, a voulu se la péter en changeant de nom en 1948 à la suite d'une réforme de la langue (comme quoi, y a pas que les Allemands qui se sont compliqué la vie avec leur Neue Rechtschreibung). Sauf que les gens ont râlé, tant et si bien qu'en 2011, ils sont revenus à l'orthographe Aarhus qui ne satisfait néanmoins toujours pas tout le monde. Aujourd'hui les deux orthographes peuvent être utilisées mais le double "Aa" reste la version officielle qu'on retrouve presque partout.

Plus au nord, on trouve Aalborg, qui elle n'a jamais essayé de se la péter en changeant son nom en Ålborg, et qui doit bien se marrer maintenant. Bref. Juste à côté, mais vraiment juste à côté puisque les deux villes partagent le même système de transport en commun, se trouve Lindholm Høje, ma destination. Voilà, vous avez maintenant une idée géographique de ce mini-périple.

Et en plus, ceux qui l'ignoraient peuvent découvrir grâce à cette carte où se trouve la Vieille Zélande, ce qui est toujours bon à savoir à une époque où l'on ne se soucie plus que de la Nouvelle.

Pourquoi se faire chier à prendre le train jusqu'au Nord-Jutland alors que je pourrais tranquillement profiter de mon après-midi à Aarhus, me direz vous (sauf, évidemment, si vous avez lu l'article précédent). Et bien c'est tout simple : Se trouve à Lindholm Høje un important cimetière viking de plusieurs centaines de tombes. Pour tout vous dire, j'ai une petite liste de lieux que je tiens absolument à voir dans ma vie dans les pays nordiques, et ce site funéraire était dessus. Me trouver si près et ne pas m'y rendre, c'était simplement impossible. Presque - oui, n'ayons pas peur des mots - presque criminel. J'ai donc pris le bus mon mal en patience devant la lenteur des bus, puis le train. Bon, n'ayant pas précisé que je voulais un siège, j'ai un ticket sans siège réservé et me retrouve assis dans l'entre-wagon, ça me rappelle mes études à Strasbourg et les aller-retours en TER... ça me permet d'admirer le paysage du Jutland, fait de champs et de forêts légèrement vallonnés et parsemés d'éoliennes. Franchement, je me serai cru au Bade-Wurtemberg, si ce n'est pour l'architecture des maisons qu'on passait (BRIQUES ROUGES !). De manière générale, la région fait très allemande, avec une touche nordique. Finalement, après plusieurs arrêts, le train s'immobilise en gare de Aalborg, et j'attends, sachant que Lindholm est juste après. J'attends. Grosse gare, me dis-je, ça prend plus de temps. Quand soudain, le contrôleur me sort "Ce train ne va plus nulle part, vous devez descendre" "Mais j'ai un ticket jusqu'à Lindholm" "Ah, alors faut prendre le train qui se trouve devant."

Je tiens à préciser que je n'ai rien contre les connections, hein. Du moment qu'on m'avertit qu'il faut changer de train (au guichet, sur le billet, ou les deux, même). Je dois donc courir un peu - comme d'habitude, diront certains - mais je choppe le bon train et deux arrêts plus loin, me voilà à Lindholm. Et là, sans déconner, je débarque du train, et le quai donne sur ça :

Ceci me permet de vous prouver que la brique, c'est pas seulement Aarhus. Maintenant imaginez que vous ne connaissez pas l'endroit, ni la langue, que vous cherchez un cimetière viking, et qu'on vous largue ici. Voilà.
 Une zone résidentielle. Pas un centre-ville, pas un centre commercial, pas même un Lidl, non, non, juste des blocs d'appartements (et oui, briques). Du coup je dois m'aventurer au hasard, je tombe sur quelques personnes pas franchement prêtes à me répondre en anglais ou en allemand, mais de fil en aiguille, les vagues indications du genre "tout droit pendant, environ... je sais pas, deux trois carrefours... puis à gauche, et après un moment y aura un panneau.", je finit par trouver le panneau. Et contrairement à celui de Gamle By, il m'a pas baladé comme un couillon ! J'arrive à bon port après avoir traversé un petit bosquet, me voilà au site funéraire viking de Lindholm Høje.

Première impression du site, alors que le soleil joue à cache-cache derrière les nuages... Des centaines de pierres s'alignent sur cette colline où broutent des moutons comme si de rien n'était. Le ciel, lui, retentit littéralement du croassement des très, très nombreux corbeaux.

Une fois sur place, on peut voir les différentes formes laissées par les pierres. Trois motifs principaux reviennent ici : les formes de bateaux, les ovales, et les triangles (apparemment plutôt pour les femmes). Les pierres étaient disposées sur le sol dans ces formes au sein desquelles on construisait le bûcher sur lequel le corps serait brûlé, avant que les restes de la crémation ne soient recouverts d'un monticule. Plus tard, notamment avec la christianisation, on enterra également des corps tout en conservant la tradition des pierres.
Les moutons entretiennent le site de façon écologique et pratique, tout en donnant un charme paisible à la scène. L'endroit est un parc ouvert à tous et à toute heure, gratuitement, et est apparemment très prisé des locaux. J'y ai vu deux couples, par exemple. Finalement, c'est un peu le Père Lachaise en version viking. En plus, les moutons ayant l'habitude de voir des gens, ils ne s'effraient pas comme en Islande. Au contraire, je crois qu'ils attendent même que ça tombe de la poche !
Une tombe en forme de bateau à flanc de colline. On ne le voit pas trop à cause des arbres, mais cette colline surplombe la ville (et donc l'ancien village) avec une belle vue sur la mer si l'horizon était dégagé. Cela dit, de nos jours, les arbres limitent l'intrusion visuelle de trop d'éléments modernes et permettent au site de garder une certaine solennité et toute sa beauté.
Une autre tombe en forme de bateau, avec de belles pierres plus grandes pour la poupe et la proue.
Au premier plan à droite, un bel exemple de tombe triangulaire, avec son menhir central posé comme une stèle. Une autre tombe triangulaire plus petite se trouve juste derrière.

Quelques tombes typiques du site. Derrière les arbres on distingue légèrement le musée, très, très intéressant par ailleurs, avec un étage sur le site funéraire et un sous-sol dédié au Jutland du néolithique à l'âge viking, notamment l'exploitation massive du silex pour lequel la région était réputée.
Les corbeaux prennent leur envol et s'apprête à faire leur ronde au-dessus des tombes. Messagers d'Odin / Wodan, à l'image des deux corbeaux de compagnie du dieu, Hugin et Munin (Pensée et Mémoire), ces vols de corbeaux semblaient particulièrement appropriés à cette visite.
Tombe ovale incomplète.
Un autre envol de corbeau sous le soleil couchant...
Une colline, une tombe-bateau et des moutons, y a pire comme ultime lieu de repos.
Un dernier regard en arrière avant de quitter le site pour rentrer à Aarhus...
Représentation de Frøya, déesse de la fertilité, trouvée à Rebild.
Après avoir visité le musée et pris le temps de profiter du site, j'ai dû me résoudre à rentrer, j'avais encore le train à prendre et le lendemain matin nous devions déjà quitter le Danemark. Autant dire que je ne pouvais pas me permettre de rater un dernier train ou une boulette de ce genre-là. C'était donc une visite qui m'a pris plus de temps en transports qu'autre chose mais qui, vraiment, valait le coup. Le musée est très chouette, le site en lui-même est superbe, je suis ravi d'avoir insisté auprès de mes profs pour leur arracher cette escapade en solo la veille de notre départ.

Bilan de cette "petite semaine" à Aarhus : Un séminaire des plus intéressants sur le travail social dans les pays nordiques, de chouettes rencontres, notamment avec les étudiants norvégiens, et quelques visites calées autant que faire se pouvait dans un emploi du temps occupé par le boulot... Deux musées et de belles ballades en ville à Aarhus, je suis plutôt content de moi !

Des pièces de Hefnatafl, le jeu de plateau nordique référencé dans les sagas, remplacé plus tard par les échecs. Pour ceux qui m'ont vu jouer ou m'en ont entendu parler ! J'en parlerai peut-être dans un article à part, à l'occasion.

Et pour conclure cette mini-série d'Impressions Danoises, une petite vidéo bonus avec deux trois petites choses pour complémenter l'article sur Aarhus, celui sur Gamle By, et celui-ci :-)

mardi 14 octobre 2014

Impressions danoises (Partie 2) : Den Gamle By et plus de Aarhus

En dehors du centre-ville, l'autre belle visite à Aarhus fut celle de le la vieille ville reconstituée du Musée Den Gamle By, où des maisons démontées dans tout le Danemark ont été remontées pour créer une cité danoise médiévale (avec l'ajout d'un nouveau quartier d'époque plus récente qui reproduit les 70' ). Les Alsaciens penseront immédiatement à l'écomusée d'Ungersheim, et ils n'auront pas tort. le principe est le même, même si Gamle By n'a pas d'animaux. En revanche, on y trouve également une boulangerie pâtisserie, une vieille librairie...

Sur le chemin, en descendant du bus : Le musée d'art moderne d'Aarhus.
Bon, par contre, je suis arrivé assez tard, bien plus tard que je ne l'avais prévu... Déjà parce que notre journée de séminaire s'est un peu prolongée le temps de décider où on se retrouverait plus tard pour aller manger tous ensembles, comme les étudiants Danois le souhaitaient, mais aussi parce que j'ai rejoins le centre-ville en bus, et que les bus dans Aarhus, ils sont lents.

Mais lents ! Sérieusement, j'arrive pas à comprendre comment leurs lignes peuvent être aussi lentes. Sans déconner, on est presque aussi rapide à pieds, soit environ 25 minutes. C'est autant que de rejoindre le centre-ville d'Helsinki depuis Espoo ! En plus, certains de leurs bus sont super bien pensés : marches à l'avant et à l'arrière, avec de la place pour un fauteuil roulant / une poussette maxi à l'arrière, qui bouche bien l'accès arrière... Et au milieu, surélevé, donc, une double rangée de sièges d'un côté... et une rangée simple de l'autre ! A quoi ça sert d'avoir un énorme passage centrale si ça sert pas à faire de la place aux handicapés / poussettes ? On fait un corridor énorme pour des personnes qui peuvent se taper des marches raides, bien joué. (Et même les bus moins cons sont pas très bien pensés pour les poussettes / fauteuils roulants / valises... Helsinki wins ). Cela dit, ils sont pas prout prout sur l'accès au bus, contrairement aux Finlandais : On peut monter à l'avant, à l'arrière, au milieu, et on te fait confiance pour que tu payes, le chauffeur ne regarde pas vraiment, et les tickets peuvent être achetés dans le bus à un distributeur - donc sans retarder le chauffeur. C'était d'ailleurs rigolo de voir tous les étudiants de Finlande rejoindre spontanément la porte avant, par réflexe.

Bah oui, à force de se faire engueuler, on finit par prendre le pli.

Le moulin à vent tout près de Gamle By.
Bref, après avoir rejoins le centre-ville, encore fallait-il trouver le musée, et de vagues indications en vagues indications j'ai fini par trouver un panneau qui... m'a fait faire tout le tour du musée plutôt que de m'indiquer le chemin le plus court... Joie. Heureusement, le musée est en pleine ville et pas en rase-campagne, ça reste facile d'accès quand on sait où est l'entrée. Et puis bon, ça m'a fait passer dans un joli jardin et près d'un vieux moulin à vent, donc c'est pas si mal, mais résultat, au moment où je payais mon ticket, il ne me restais qu'une heure d'ouverture.

Du coup le prix était à -20%, woop woop !

L'autre avantage, c'est que l'endroit était presque désert, me donnant parfois l'impression de faire une visite privée. Et comme certains d'entre vous le savent, j'ai la fâcheuse tendance à vouloir éviter de prendre des gens en photos quand je veux un paysage ou un monument - oui, je sais, ça va à l'encontre des règles de photographie - mais du coup, j'étais content, j'avais pas vraiment besoin d'attendre la seconde parfaite entre deux passants puisque... y avait peu ou prou de passants !

Bon, à partir de là, c'est de la ballade pure donc je vous fais une "simple" série de photos commentées, vous ne m'en voudrez pas :

La première rue du "village" nous met dans l'ambiance : colombages... et briques, évidemment ! On distingue au bout de la rue une vieille maison au toit de chaume, qu'on verra de plus près un peu plus tard...

La rue du bottier et du maréchal ferrant. On peut entrer dans les maisons et profiter des scènes reconstituées, évidemment.
Ça c'est de la pharmacie qui a la classe ! Encore une fois, le combo colombage-briques qui surprend un peu quand on a l'habitude de voir ce genre de maison médiévale murée au torchis... On notera également la recherche esthétique dans l'alignement de briques, c'est pas le bête mur d'usine.
La boutique de souvenir ouvre une rue fort jolie !
L'horloger et l'orfèvre dans la maison rouge.
L'échoppe à droite c'est la boulangerie pâtisserie, et j'aime autant vous dire que l'odeur dans cette rue était des plus plaisantes ! Dans la maison de gauche se trouve un petit musée du jouet ancien à l'ambiance à la fois enfantine avec la petite boîte à musique qui joue mais aussi assez glauque avec la pénombre et pas un chat...
Bon y avait de belles pièces et la présentation était chouette ! Mention spécial au clown. Vous comprendrez bientôt.
Mention très spéciale à la librairie qui non seulement est très jolie de l'extérieur...

Mais est en plus tenue par ce monsieur absolument génial. Tout, de son look à son attitude et son maintien font de lui l'archétype même du vieux libraire élégant et instruit qu'on s’imagine tenir ce genre de boutique - d'ailleurs c'est en allemand que nous avons conversé tranquillement alors qu'il me montrait le fonctionnement de sa caisse mécanique. Qui est la caisse qu'il utilise bel et bien pour les transactions en liquide.Je vous dis pas l'ambiance ! Un monsieur des plus sympathiques qui m'a collé un sourire sur la figure pour le reste de la visite.
La grand-place avec sa fontaine et son restaurant plus moderne (enfin, comparé au reste, hein)
Un vieux kiosque que je trouve particulièrement chouette, notamment la toiture avec les petites horloges. Et le moulin à vent, au fond...
Une vue de l'autre rive...
Sur le pont pour passer de l'autre côté de la rivière... On voit le moulin à eau au loin. On voit également bien les docks aménagés.
Le moulin à eau et la digue en bois.
Une belle vue du village sur plusieurs plans... Toutes les ruelles, cours et impasses (ou presque) sont accessibles, même quand il n'y a rien de spécial à voir, du coup on a vraiment l'impression de visiter un vieux village, sans impression de fausseté.
Au fond du village, on trouve également quelques maisons au toit de chaume... dont la forme m'a beaucoup rappelé les fermes de Forêt Noire.
En plus petit quand même...
Vous l'aurez compris, Den Gamle By est un régal pour les yeux (mais pas que, hein, la boulangerie est par exemple réputée pour son pain d'épice), un beau musée de plein air en plein centre-ville ou presque - même si les efforts pour donner l'impression de ne pas être dans le Aarhus d'aujourd'hui sont payants. Le style médiéval de l'ensemble (qu'on retrouve dans certaines maisons de la vieille ville) m'a beaucoup rappelé ma plaine du Rhin, ça m'a fait plaisir. Apparemment il faut vraiment voir le musée en décembre, quand ils le décorent pour Noël, et je veux bien croire que ça doit avoir de la gueule !

En revenant au centre-ville j'en ai profité pour faire le tour de la cathédrale d'Aarhus une dernière fois, sachant que le lendemain je n'aurais pas le temps de traîner en ville, ayant d'autres projets...

J'adore ces petites tours façon château de Disney...

Une vue plus générale de l'architecture du monument.
Bizarrement on n'a pas trop de mal à voir quelles plaques de cuivre du toit ont été changées récemment.
J'avais un peu de temps devant moi avant de rejoindre les autres au restaurant, j'en ai donc profité. Malheureusement j'étais pratiquement à cours de batterie donc j'ai pas pu prendre certains endroits qui avaient attiré mon regard, néanmoins je me dois de mentionner - avec une photo d'une ballade précédente - le théâtre qui se trouve juste derrière la cathédrale vaut également le détour, très joliment décoré qu'il est :

Le théâtre.
Art de rue à Aarhus.
Le lendemain c'était déjà notre dernier jour de séminaire, et parce que les Norvégiens devaient partir plus tôt, on finissait tous à 13h30, ce qui nous laissait toute l'après-midi de libre. Mes camarades de classe ont tous choisi de rester à Aarhus faire du shopping et visiter un peu (même si personne n'est allé dans un musée, hein, faut pas déconner). Moi, j'ai préféré faire un autre choix. Après avoir tanné mes profs pendant toute la semaine, j'obtenais l'accord de me barrer et faire mon petit programme perso pour l'après-midi.

Alors que les autres déboursaient leurs couronnes danoises chez H&M, je décidai donc de prendre le train et partir visiter le site funéraire viking de Lindholm Høje, à environ 120 kilomètres de là.

Parce que.

dimanche 12 octobre 2014

Impressions danoises (Partie 1) : Aarhus

La salle commune de notre auberge de jeunesse, à l'heure du petit déjeuner !
Afin de participer à un séminaire sur la question du multiculturalisme dans le travail social au sein des pays nordiques, j'ai passé avec quelques camarades de classe une petite semaine à Aarhus, la seconde plus grande ville du Danemark. C'était ma première visite dans ce pays, en dehors des nombreuses attentes entre deux vols à l'aéroport de Copenhague dont je n'étais jamais sorti jusqu'ici, autant dire que j'étais assez excité à l'idée de pouvoir enfin voir un peu plus du Danemark que la zone internationale de son aéroport.

L'ironie du sort c'est que je n'ai toujours pas visité Copenhague !

En effet, nous n'y avons fait qu'escale avant de reprendre rapidement un seconde vol vers Aarhus - plus rapide que prendre le train. Pour donner une idée générale, la ville se trouve à l'Est du Jutland (la partie du continentale du Danemark à la frontière allemande) dont elle est la capitale culturelle, sur les rives du Kattegat, c'est à dire le bras de mer qui connecte la Mer Baltique et la Mer du Nord et qui a vu l'émergence de la culture viking. C'est le plus gros port du Danemark et l'une des plus vieilles villes du pays (8ème siècle Ap.). On y trouve aussi l'un des plus grands "ghetto" du Danemark avec 10 000 à 15 000 immigrés, majoritairement réfugiés, avec beaucoup de palestiniens et de syriens, notamment. Je précise parce que j'y suis quand même allé pour un séminaire sur le travail social, hein, et que la visite du ghetto fut des plus intéressantes. Aarhus est par exemple pilote dans l'introduction d'une police de proximité similaire à celle qu'on trouvait en France jusqu'à encore récemment (Avant que Nicolas Sarkozy ne leur préfère les CRS). Le succès de cette nouvelle police est énorme, et plusieurs villes danoises s'apprêtent à appliquer le modèle. Cela dit, en voyant ces énormes quartiers à réfugiés, je ne peux m'empêcher de penser à quel point la Finlande a eu raison de choisir l'option d'éclatement des groupes plutôt que la localisation par groupe ethnique ou culturel. Le Danemark paye sa politique communautaire d'immigration (comme le fait la France), et j'espère que les Finlandais continuerons à éviter cette méthode. Cela dit, le quartier où on a visité deux centres pour jeunes a une très mauvaise réputation et honnêtement je n'ai rien vu de spécial (rien de démoli, rien de brûlé, etc.) et on nous a pas embêté non plus... J'ai eu affaire à plus de violence, insultes et agressions autour de la banlieue de Colmar que dans ce gigantesque "ghetto".

En revanche, ce que je ne m'attendais pas à trouver dans un quartier à la réputation "sensible", c'est un local associatif pour jeunes défavorisés dont la façade est décoré d'un énorme Yggdrasil ! Au milieu d'une architecture assez tristounette (pour ne pas dire lugubre avec un collège tout-béton façon prison est-allemande), je tombe sur un très bel Yggdrasil, coloré et plein de symboles - et sans tags ni rien, comme on peut le constater. On y trouve l'aigle Hræsvelg, l’écureuil Ratatosk, le loup Fenrir, une Norne sous les racines, Asgard et Midgard dans des médaillons, le marteau de Thor, une pomme d'Idunn... C'est vraiment référencé et respectueux, j'étais très surpris, d'autant plus que voilà, imaginez pour l'équivalence trouver une fresque sur Roland dans une ZUP.

Pour rappel, Yggdrasil est l'Arbre-Monde de la mythologie scandinave, l'équivalent de l'Iminsul germanique, et qu'il représente le pilier qui rassemble les divers mondes de cette mythologie. C'est un lien entre les monde, la connexion entre le passé et le futur, les dieux, les Hommes et les Géants, les vivants et les morts. Et je trouve donc que c'est un des plus beau symboles qu'on puisse trouver pour un endroit tel que celui-ci.

Néanmoins je n'ai pas fait que visiter la banlieue de Aarhus, j'ai eu également l'occasion de me promener en ville et de découvrir l'architecture urbaine danoise. Et une conclusion s'impose rapidement lorsqu'on s'y promène : Les Danois aiment leurs briques.

Une maison individuelle ? Choisissez la brique !
On reste sur du style nordique pour le centre-ville, mais on prend de la brique.
Brique.
Location de vélo, parce que le cyclisme ici c'est très important. Et brique !
BRIIIIIIIQUE !!!! (Même pour la cathédrale)
Le clocher massif et très joliment décorée de la cathédrale dédiée à Saint-Clément, patron des marins. 96 mètres de haut, quand même, la plus haute du Danemark (à titre de comparaison, la récente Hallgrímskirkja à Reykjavík ne mesure "que" 75 mètres de haut)
On sent bien qu'on est dans un pays nordique dans le style, notamment la manière de faire des fioritures, mais contrairement à la Finlande ou la Suède, qui choisis plutôt le Jugendstil quand elles passent à la construction en dur, les Danois, eux, ils y vont à la brique. De la brique partout, partout. Des usines en passant par les HLM, des vieux bâtiments historiques jusqu'aux églises et aux cathédrales, BRIQUE ! BRIQUE ! (ça explique peut-être pourquoi LEGO fut inventé au Danemark, en fait...) Précisons quand même que le Danemark fut le premier pays scandinave à construire en dur, utilisant la brique depuis près de mille ans, il y a donc une raison historique et même une certaine fierté culturelle. On trouve aussi quelques maisons colorées de bleu, jaune et rouge bien flash comme les aiment les nordiques, et dans la vieille ville, on sent l'ancienneté de la cité puisqu'on retrouve pas mal de colombage. 

L'Eglise Notre Dame d'Aarhus, qui accueille au sein de sa crypte la plus vielle église en pierre de Scandinavie, datant de 1060. La classe. Ah, et aussi : Briques.
Pour donner la pleine mesure de leur amour immodéré pour ce mode de construction, prenons la rue où on attendait régulièrement le bus pour rentrer à notre auberge de jeunesse :



Une jolie petite tour. Et des briques.
Voilà. Rouge, jaune, peu importe, pourvu qu'il y ait de la brique ! Cela dit, c'est rarement de la façade monotone et industrielle, et les fenêtre seront décorées, les frontons enjolivés, bref, on reste sur du nordique très reconnaissable, avec un goût prononcé pour les petites tours qui donnent un petit côté mini-château / contes de fées assez mignon. Après tout, c’est le pays d'Andersen !

Le truc qui m'a un peu agacé, c’est les vélos. Parce que, comme dans la plupart des pays nordiques, les gens l'utilisent énormément, mais contrairement à Helsinki ou même Reykjavík, les pistes cyclables à Aarhus sont vraiment, vraiment merdiques. Du coup, les cyclistes s'en foutent royalement et roulent comme des branques, à la strasbourgeoise, avec la politesse de portes de prison. Les carrefours pétions ? Un gros bordel. Les zones de travaux ? De vrais pièges mortels. Sérieusement, les gens ne ralentissent même pas, et si t'as pas des yeux derrière la tête tu risque de ne voir le cycliste qu'au moment d'entendre le gros WOOSH quand il passe à côté de toi (oui parce que contrairement à Strasbourg ou Helsinki, la sonnette vient en sup').

Heureusement le centre-ville reste assez facile à fréquenter, et sa construction en demi-cercle autour du port fait qu'on retombe assez vite dans des endroits connus. Pour se perdre à Aarhus, faut vraiment le vouloir.

Le centre-ville avec l'une des nombreuses passerelles au-dessus du canal.
Joyeux Noël ! C'était quand même bien les guerres et les massacres, non ? (source)
Un autre truc culturel qui m'a frappé c'est leur utilisation du drapeau danois comme... logo publicitaire. Ça a commencé lorsque, sur des affiches de promotions pour des supermarchés je voyais toute une ribambelle de drapeaux, et alors que je demandais à un des profs Danois si c'était bientôt la fête nationale, il me répondit "Non, c'est comme ça toute l'année. Le drapeau c'est pour faire plus populaire." En fait, les produits ne sont pas forcément danois de près ou de loin, mais y associer le drapeau national en fait quelque chose de plus sympa, de plus festif, de plus peuple. Je rappelle qu'on parle des gens qui ont inventé le concept de la guirlande de drapeaux pour décorer le sapin de Noël (tradition qui s'est répandu ensuite chez les autres Nordiques, puis ailleurs). D'ailleurs, outre les drapeaux en guirlande, ils aiment aussi décorer leur sapin de Noël avec des trompettes et des tambours, et ce depuis la guerre contre la Prusse pour le Schleswig-Holstein en 1864 (que j'évoquais justement dans cet article). Ambiance de fête, donc !

Exemple, une boutique dans la rue marchande :

Non, ce n'est ni la fête nationale, ni une boutique danoise. En revanche, achetez ici, on est cool, on a des drapeaux.
Étonnamment, le drapeau rectangulaire classique est strictement réservé aux bâtiments officiels, du coup, les particuliers ne peuvent pas l'accrocher dans leur jardin... Qu'à cela ne tienne, ils utilisent des pennons, ces longs fanions similaires à ceux que je vous avait montré en Finlande. Et là encore, ils y vont sans retenue. J'en profite pour rappeler que c'est le plus ancien drapeau national encore usité, son origine mythique datant de la bataille de Lyndanisse contre les Estoniens païens que les Danois, après avoir reçu cette bannière par Dieu lui-même qui la fit tomber du ciel, massacrèrent dans un formidable bain de sang par la volonté de leur Seigneur Jésus Christ. (Ambiance ! Ambiance !) L'autre légende sur son origine c'est que la bannière serait inspirée de la tunique du roi Danois Valdemar II, gorgée du sang des Estoniens, toujours lors de ce siège, à part là où il portait sa ceinture et son baudrier, d'où la croix blanche sur fond rouge (Ambiance ! Ambiance !).

Bref, un drapeau populaire et festif, hein !

Vous pourrez repenser à cette anecdote si jamais vous relisez mon article sur Tallinn, capitale de l'Estonie, puisque ce nom signifie la Forteresse des Danois et qu'on l'a appelée ainsi parce que ce sont bien les Danois qui l'ont construite à côté de la ville réduite en cendres, après avoir "reçu" cette bannière tombée du ciel. Ça vous mettra dans l'ambiance. 

Mais continuons notre petit tour dans Aarhus avec quelques images de plus pour donner une idée :

Alors ça c’est de l'entrée classe, avec le petit knorr en vitrail et les deux dragons...
Une des rues du centre-ville sur lesquelles on finit toujours par retomber.
Histoire d'être honnête, il n'y a pas que des immeubles en briques, hein. Exemple, celui-ci, qui est déjà plus proche de ce qu'on pourrait trouver à Stockholm ou Helsinki. Bon, là encore, difficile de faire plus nordique avec les motifs d'arbres et des plantes et, en plus, des entrelacs !
Mention spéciale à la gare qui, bizarrement, m'a beaucoup fait penser à une DeLorean et à un hoverboard...
Cet immense mirador en béton qui n'a pas l'air fini et jure complètement avec le reste de la ville, c'est la mairie. On l'applaudit bien fort.
Le séminaire nous prenant pas mal de temps, je n'avais pas vraiment beaucoup de marge pour aller visiter des musées. Néanmoins, en me dépêchant (et en partant en solo, ça aide aussi mine de rien), j'ai réussi à rejoindre un musée appelé Den Gamle By, la Vieille Ville, où comme à l'Ecomusée d'Alsace ou à Seurasaari en Finlande, d'anciennes maisons de tout le Danemark ont été démontées puis remontées ici pour recréer un village "à l'ancienne". Ce sera donc le sujet de mon prochain article...