vendredi 6 novembre 2015

Un jour en Finlande : Le jour de la Suède et de Gustave-Adolphe

Aujourd'hui, en Finlande, c'est le jour de la Suède. Curieux, non ?

L'histoire de la Finlande est étroitement liée à celle de la Suède. Pendant près de six siècles, elle n'en fut qu'une province, avant de passer sous domination russe en 1809. Avec l'indépendance le Royaume est devenu une sorte de"grande sœur" à laquelle la Finlande aime se mesurer pour faire ses preuves (notamment au hockey sur glace. Surtout au hockey sur glace.). Un rapport amour-haine hanté par un profond complexe d'infériorité. Souvent, quand les politiciens veulent montrer un exemple de "comment que c'est mieux ailleurs", ils regardent la Suède. Sauf pour la politique d'immigration, apparemment, là ce serait plutôt le modèle à ne pas suivre, mais passons.

Une jolie maison à Naantali, avec son panneau monolingue (une curiosité !)
La Finlande a deux langues nationales : le finnois (d'uh !) et le suédois. Non seulement à cause de son histoire, mais parce que le pays abrite une minorité de Finnois suédophone (enfin, ils parlent un suédois finlandisé qui est donc plus un dialecte suédois que de vrai suédois de Suède). Historiquement, cette minorité coïncide étrangement avec la bourgeoisie finlandaise, elle a donc tendance à : mieux se porter financièrement, mieux se porter niveau santé, mieux se porter niveau éducation... bref, vous voyez le tableau. Dans l'esprit des Finlandais, cette minorité est bien présente, bien visible, elle compte. Et attise une certaine... jalousie ?

Le bilinguisme se retrouve partout, dans l'administration et tout ça, évidemment, mais le plus frappant ce sont les panneaux de circulations, de rues, etc. Tout est en deux langues, finnois et suédois, la langue majoritaire dans la commune étant écrite en premier sur les panneaux. Néanmoins si la minorité tombe sous les 5%, le panneau est en une seule langue. Du coup, il y a eu des conflits lorsque trop de finnophones se sont installés dans des coins à majorité suédophone... parce que si le ratio s'inverse la loi les oblige à refaire tous les panneaux (en plus de voir le dialecte faiblir, évidemment). Les fénno-suédois ont également un nombre de représentant fixe au parlement (alors qu'il aura fallu attendre 2007 pour voir un Same au parlement finlandais), leur langue minoritaire est obligatoire pour tous dans les écoles de tout le pays (même dans les zones où on ne le parle pratiquement pas, genre à la frontière russe). Bref, ils pèsent.

D'ailleurs, dans l'archipel dont je vous est déjà parlé se trouvent les îles d'Åland, complètement suédophones, qui ont même un statut d'autonomie (avec leur propre drapeau, étendard de la minorité suédophone).  De temps en temps ils font semblant de vouloir quitter la Finlande pour la Suède, mais une fois quelques nouveaux privilèges obtenus (privilèges fiscaux, monolinguisme protégé par des traités, démilitarisation, etc.), tout va de nouveau bien.

Entre parenthèse, je tiens à dire que j'aimerai bien y faire un tour, à Åland, parce qu'il paraît que c'est magnifique.

(Edit : J'y suis finalement allé, j'en parle ici !)

Trait d'union entre la communauté suédophone de Finlande et la Suède, le territoire autonome d'Åland est ici marqué avec des bordures rouges. A titre d'illustration je vous ai mis les drapeaux des deux pays et d'Åland. Je crois qu'on peux difficilement être plus clair dans le message, quand même.
En Suède, bizarrement, personne ne pense à eux et les gens s'étonnent souvent en apprenant qu'apprendre le suédois est obligatoire pour tous. Les suédois ont eux-même une minorité finnophone, d'ailleurs, dont personne n'a rien à cirer, et personne ne doit apprendre le finnois dans les écoles suédoises. Ah c'est sûr, c'est mieux en Suède, hein !

Bref, revenons à la Finlande.

Je vous avais déjà parlé des jours spéciaux où on sort les drapeaux partout pour célébrer des figures emblématiques, des événements, etc. Regardons donc notre agenda - et j'entends par-là, jetons réellement un œil à un agenda finlandais qui indique les jours spéciaux par des petits drapeaux :


30 mars : Jour de la démilitarisation et neutralité d'Åland (oui parce qu'en plus d'être autonomes, les habitants des îles sus-nommées ne sont pas soumis au service militaire comme le reste du pays).

24 avril : Jour du drapeau d'Åland. (Un drapeau suédois marqué d'une croix rouge, symbolisant la Finlande. Alors là, vous regardez le drapeau blanc et bleu et à première vue vous vous dites logiquement : "Bullshit !". Mais si vous avez suivi mon article précédent vous devriez vous rappeler pourquoi le blason rouge de la Finlande n'est pas devenu son drapeau. Indice pour s'en souvenir : ça un rapport avec les communistes)

9 juin : Jour de l'autonomie d'Åland. Qui coïncide avec le jour de commémoration des vétérans (comprendre : les héros de la guerre contre les Russes qui ont permis à la Finlande de rester indépendante.) (Ironie, ironie)


Bon, pour être honnête, ces jours le drapeau ne doit être levé que sur les îles concernées. Alors, certes, on pourrait se dire que c'est pas grand chose, mais quand on pense qu'en une année ils ont réussi à donner trois jours à Åland, alors qu'en dehors de la fête des mères, seulement un jour à drapeau est en l'honneur d'une femme (Minna Canth le 19 mars), et aucun n'est réservé aux Sames, l'autre minorité native du pays (dont on n'oblige personne à apprendre la langue, bizarrement) on se dit que... voilà quoi... y a un peu de favoritisme. Ah oui, j'ai précisé que les Fénno-suédois représentaient moins de 6% de la population ? On comprend peut-être un peu mieux les grincements de dents qui se font parfois entendre dans les rangs finnophones. (voire, chez les plus vindicatifs, une certaine hostilité verbale - voire physique ! - comme certains contacts fenno-suédois m'ont racontés)

Mais revenons à l'agenda, puisque à ces trois jours dédiés à la communauté autonome suédophone, il faut ajouter le 6 novembre : le jour de la Suède, ou jour de Gustave Adolphe, qui fut Duc de Finlande et d'Estonie avant d'être Roi de Suède. Il est particulièrement connu pour être devenu le grand chef de guerre qui ravagea l'Europe centrale pour venir en aide aux Protestants, en guerre avec les Catholiques... bon, OK, oui, c'est aussi lui qui voulait une deuxième rangée de canons sur le Vasa, vous êtes contents, bande de trolls ?

Et ce jour-là, il est obligatoire pour tout le monde, hein, pas juste Åland. Drapeau au vent dans toute la Finlande !

(Afin d'être sûr de pas dire de connerie j'ai quand même vérifié à la fenêtre et oui, drapeau au vent. Enfin, visiblement le vent finlandais boude un peu le jour de la Suède, mais je digresse)

A la date anniversaire de la mort du plus célébré monarque Suédois, tout le pays célèbre son ancien maître et actuel rival en sortant les drapeaux. D'ailleurs, à la base c'est une fête suédoise ! (où on mange du gâteau, en plus, malheureusement pour moi cet aspect de la tradition n'a pas franchi la mer... je suis déception)

Étrange pour un pays dont l'une des grandes marques de bière a sorti une édition spéciale quand son équipe de hockey a mis la pâtée 6 à 1 à la Suède en finale de coupe du monde, un pays qui regarde son voisin avec envie parce que ses femmes sont prétendument plus belles et que tout fonctionne mieux, mais en ricanant parce qu'il est connu de tous que les Suédois sont tous gay. (sans déconner, dans une boutique de Helsinki j'ai vu des T-shirts  drolatiques "Je ne suis pas gay même si je conduis une Volvo", ça se pose là). Et pourtant leur drapeau est directement inspiré du suédois, et quelque part ils s'accrochent à l'héritage suédois qui les inscrit clairement au sein des pays nordiques, en opposition à l'autre ancien maître, la Russie. 

Et entre la Suède et la Russie, les Finlandais choisiront toujours la Suède.

Du coups les Finlandais ont une grosse ambiguïté avec la Suède, et c'est vraiment très drôle. S'ils peuvent les troller, ils le feront. S'ils peuvent leur mettre une branlée sportive, c'est liesse et fête nationale pendant un mois. Il y a des pétitions pour demander l'arrêt du suédois obligatoire (écrites dans un finnois bourré de fautes, apparemment... ironie). Et pourtant, ils restent convaincus que c'est mieux de l'autre côté du golfe d'Ostrobothnie. 


Quelque part, ça me rappelle cette obsession française pour le modèle allemand.


Trololol.



PS : Blagues et piques faciles à part, le dialecte fénno-suédois est en réalité en recul, et un dialecte qui s'affaiblit c'est toujours triste.

PS 2 : Et heureusement que la Finlande ne fait plus partie de la Suède, sinon ce royaume scandinave ressemblerait toujours à ceci :


Honni soit qui mal y pense.